Les personnes qui n'ont pas la capacité, ou une incapacité réduite, de visualiser des images mentales, peuvent avoir une moins bonne mémoire des détails d'événements passés de leur vie (mémoire dite épisodique ou autobiographique) et avoir plus de difficulté à reconnaître les visages, selon une analyse de près de 10 ans de recherche publiée en mars 2024 dans la revue Trends in Cognitive Sciences.

Le terme « aphantasie » a été introduit par Adam Zeman, psychologue à l'Université d'Exeter (Royaume-Uni), et ses collègues (1) en 2015, pour désigner l'incapacité ou la capacité réduite de visualiser mentalement.

Les personnes atteintes d'aphantasie sont également moins susceptibles d'évoquer des images mentales d'autres modalités sensorielles, comme imaginer de la musique ou la sensation contrastée du velours et du satin.

Dans la nouvelle analyse, Zeman a passé en revue une cinquantaine d'études afin de synthétiser les connaissances sur l'aphantasie qui ont émergé depuis 2015.

Prévalence de l'aphantasie et de l'hyperphantasie

Depuis que la première description de l'aphantasie a été médiatisée, des dizaines de milliers de personnes dans le monde se sont identifiées à cette description, rapporte un communiqué du chercheur. Plusieurs disent qu’elles savaient qu’elles traitaient les informations différemment des autres, mais étaient incapables de préciser comment. Certaines d'entre elles ont exprimé leur choc en découvrant que d'autres personnes pouvaient évoquer une image dans leur esprit.

L’aphantasie, ont ensuite montré des études, toucherait environ 1 % de la population, tandis que 3 % seraient hyperphantasiques, c'est-à-dire que leurs images mentales sont très vivides, si vivides qu’elles peuvent rivaliser avec la « vision réelle ». Ces chiffres s'élèvent à environ 5 et 10 % lorsque des critères d'inclusion moins stricts sont utilisés. L’aphantasie et l’hyperphantasie sont souvent héréditaires, ce qui laisse penser à la possibilité d’une base génétique.

Des effets subtils sur le fonctionnement quotidien

« Malgré le profond contraste dans l'expérience subjective entre l'aphantasie et l'hyperphantasie, les effets sur le fonctionnement quotidien sont subtils : le manque d'imagerie n'implique pas un manque d'imagination », souligne le chercheur. « Le consensus parmi les chercheurs est que ni l’aphantasie ni l’hyperphantasie ne constituent un trouble. Ce sont des variations de l’expérience humaine avec des avantages et des inconvénients à peu près équilibrés. Des travaux ultérieurs devraient permettre de les préciser plus en détail. »

Un large éventail de tests standards de mémoire (à court et à long terme, verbale et visuelle) et de pensée (« cognition ») ne montre que de faibles différences, voire aucune, chez les personnes atteintes d'aphantasie.

La mémoire autobiographique

Mais un aspect spécifique de la mémoire semble être affecté : la richesse de la mémoire autobiographique est généralement réduite chez les personnes ayant une aphantasie et augmentée chez celles ayant une hyperphantasie.

Chez certaines personnes atteintes d'aphantasie, la réduction de la mémoire autobiographique est suffisamment importante pour suggérer la coexistence du « syndrome de mémoire autobiographique sévèrement déficitaire » (MASD), un syndrome que des études ont récemment décrit. Les personnes atteintes de ce syndrome ne se souviennent pas avec précision d'événements vécus personnellement dans une perspective à la première personne, bien qu'elles fonctionnent normalement dans la vie quotidienne. Étant donné le rôle important joué par l'imagerie dans la mémoire autobiographique, la relation entre le MASD et l'aphantasie devrait être étudiée, estime l'auteur.

Lors d'évocation de scénarios futurs, la richesse des descriptions de scènes imaginées est également réduite dans l'aphantasie.

La reconnaissance des visages

Environ 40 % des personnes atteintes d'aphantasie décrivent des difficultés à reconnaître les visages, soit plus du double de la fréquence observée chez les personnes présentant une vivacité moyenne des images mentales ou une hyperphantasie. Cela se traduit par des scores plus élevés à un questionnaire sur la prosopagnosie (ou cécité des visages). Des études ont d'ailleurs montré que les personnes atteintes de prosopagnosie ont, en moyenne, une vivacité d'image réduite. (La fréquence de la prosopagnosie est sous-estimée)

La synesthésie

Les données suggèrent une plus grande prévalence de synesthésie chez les personnes atteintes d'hyperphantasie. Des études ont aussi montré une vivacité moyenne de l'imagerie plus élevée chez les personnes atteintes de synesthésie.

Les rêves

Même si les personnes atteintes d’aphantasie ne peuvent pas visualiser à volonté, le rêve visuel est souvent préservé.

Des variations individuelles

Les recherches montrent que l'aphantasie n'est pas une entité unique, mais comporte des sous-types. Par exemple, toutes les personnes atteintes d’aphantasie n’ont pas une moins bonne mémoire autobiographique.

Un sous-groupe de personnes atteintes d'aphantasie décrit des difficultés à reconnaître les visages, ce qui illustre que l'aphantasie peut, plus généralement, être liée à de subtiles altérations dans la façon dont le monde est perçu.

Chez une minorité de personnes, l’aphantasie semble être liée à l’autisme.

Pour plus d'informations sur l'aphantasie, voyez les liens plus bas.

(1) Michaela Dewar, Sergio Della Sal.

Psychomédia avec sources : Trends in Cognitive Sciences, University of Exeter, The Conversation.
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