Aphasie et zoothérapie

L'aphasie

J'apprends que chaque année, rien qu'au Québec, près de 4000 personnes deviennent aphasiques.

J'apprends aussi que l'aphasie n'est pas une maladie en soi; c'est la conséquence d'un dommage au cerveau, dans les zones responsables du langage. C'est donc un trouble acquis chez une personne qui avait dans le passé un langage normal. Ce dernier point m'apparaît particulièrement important car il va entraîner un certain nombre de conséquences psychologiques et sociales.

On sait que la capacité d'une personne à communiquer lui permet d'entrer en relation avec son environnement autant qu'avec elle-même. Les troubles du langage occasionnés par l'aphasie bouleversent donc brusquement toutes les dimensions relationnelles de la vie, en particulier les relations affectives et sociales.

Est-il nécessaire de préciser que les sentiments de frustration qui résultent de l'inhabileté à communiquer peuvent engendrer dépression, colère, découragement, ou autres émotions pénibles, ou encore une combinaison de plusieurs d'entre elles ?

Devant cette réalité, faut-il baisser les bras ?
La communication sans parole

L'habileté à communiquer passe par plus d'un canal. Le canal du langage parlé est sans aucun doute le plus répandu. Et c'est aussi celui qui comporte le plus de pièges, le plus de manipulations, le plus de mensonges, le plus d'incohérences.

Mais qui a dit qu'on ne pouvait communiquer que par la parole ? Certainement pas les amoureux des animaux domestiques qui ont plus d'une raison de se réjouir de l'absence de parole chez leur compagnon à quatre pattes.

Je vous propose de traiter la composante émotive qui résulte de l'aphasie. À ce propos, peut-on affirmer qu'il s'agit là d'un pas de plus vers l'acceptation de ce qui est ? Et en même temps, peut-on affirmer qu'il s'agit là d'un mouvement vers l'essentiel ?

Je pense que oui dans les deux cas. En effet, communiquer vraiment, ce n'est pas simplement "dire des choses de la bonne façon". Si c'était le cas, seules les personnes douées d'une grande éloquence seraient à même de communiquer ! Et les enfants qui ne parlent pas encore, communiquent-ils ? Et nos chiens par leurs multiple façons de faire, communiquent-ils ? Certainement.

Les mots voilés

La qualité de la présence animale auprès d'un humain peut être exceptionnelle si seulement celui-ci veut bien ouvrir ses sens et recevoir ce message, car il est parfois transmis de manière inaudible et invisible. Mettez un chien en présence d'un enfant ou d'un adulte et demandez à la personne de rester silencieuse. Que se passe t-il ? Dès les premiers moments il s'installe un langage. La personne autant que le chien cherchent à se dire des choses et très souvent ils y parviennent ! Mimiques et gestes, caresses et mouvements, sourires et sauts, font tous partie de la communication et génèrent rapidement un sentiment de complicité. En fait, ils se rejoignent dans leur intimité respective et c'est ce qui nous permet de dire qu'ils sont sur la même longueur d'ondes. La zoothérapie, dans ses multiples facettes et applications, permet cela.

Le langage qui se produit entre animaux et humains est sans aucun doute une forme subtile de communication, malheureusement sous-utilisée. Pour mériter le nom de langage, la communication n'a pas besoin de sortir nécessairement de la bouche. Elle peut aussi passer par les mains, par les yeux, ou par n'importe quelle partie du corps. Par exemple, les enfants de parents sourds ne sont pas nécessairement sourds eux aussi, mais ceux qui le sont passent par toutes les étapes du développement du langage, à commencer par le babillement. Bien sûr, ils babillent des gestes et non des sons.

La gestuelle est une constante dans la communication entre animaux et aussi entre animaux et humains. Voilà pourquoi, une fois brisée "l'obligation" de la parole dans la communication, il devient possible de stimuler cette gestuelle ou d'accepter les moments de langage silencieux chez les personnes à qui elle est impossible pour différentes raisons neurologiques ou physiques.

L'animal catalyseur d'émotions

Une personne aphasique risque parfois de nier son besoin d'amour et d'affection et peut s'entourer d'une carapace qui la coupera davantage du monde extérieur. Cacher sa sensibilité, son besoin d'affection, sa soif de tendresse, est une manifestation hélas trop courante. Cette personne craint sans doute d'éveiller un sentiment de vulnérabilité souvent enfoui au plus profond d'elle-même.

Reconnaître la dépendance pour une personne aphasique n'est pas une chose aisée. C'est ainsi que la peur de se révéler aux autres aboutit à la peur de se révéler à soi. Et c'est ainsi que naît un conflit intérieur parmi tant d'autres, conflit accompagné d'inévitables émotions de tristesse, de colère, de peur. C'est là que l'animal peut intervenir à la manière d'un catalyseur. Rappelons la définition de ce mot emprunté à la chimie : un catalyseur produit une réaction entre deux éléments par sa seule présence. L'animal facilitera ainsi à la personne aphasique ce "mouvement vers l'essentiel" en lui permettant de découvrir ses vrais besoins, ces derniers étant souvent soigneusement camouflés.

La zoothérapie et son origine

La zoothérapie au service des personnes présentant un ou plusieurs handicaps a été tentée pour la première fois en 1975 par Mme Bonita Bergin (Canine Companions for lndependence). Elle éduqua les premiers chiens compagnons chez elle à Santa Rosa, en Californie. Si, au départ, les premiers chiens furent éduqués pour assister les personnes souffrant de troubles moteurs, l'organisation entraîne maintenant des chiens pour des personnes atteintes d'autres handicaps. Un autre organisme "Handi-Dogs", à Tucson en Arizona, a été fondé par M. Alamo Reaves. Son programme vise à entraîner les bénéficiaires à éduquer leur propre chien.

A quand une telle initiative au Québec ?
Georges-Henri Arenstein
Psychologue
Mars 2002


Le présent article a été publié en février 2002 dans " l'Abri", le magazine de l'Association des personnes aphasiques du Québec, dont le siège social est à Montréal.