NOUVELLE RÉFLEXION SUR
 LA RELATION D'AIDE "VIRTUELLE"

Josée Leboeuf, M.A.
Sexologue clinicienne et
psychothérapeute

INTRODUCTION

Il y a plusieurs mois que j'ai envie de me pencher à nouveau sur la place de l'Internet dans la relation d'aide. Le premier article que j'ai écrit à ce sujet date de quelques années déjà et depuis, je me rends compte que ma perception change au fil du temps et de mon expérience sur le sujet.

Depuis la création de mon site web (septembre 1997) et mon implication sur PsychoMédia (mars 1998), j'ai eu l'opportunité de m'entretenir avec un nombre impressionnant d'internautes. Que ce soit lors de mes animations sexologiques sur le canal #PsychoChat, la supervision du forum SEXEprimez-vous, les consultations par courriel ou en mode IRC (offertes sur mon site web SEXOLOGIE En-Ligne) et simplement en jasant avec des internautes sur le sujet, j'en arrive aujourd'hui à la conclusion que la relation d'aide virtuelle ne s'éloigne pas autant de la thérapie que je ne le pensais au départ. Encore faut-il définir ce qu'est une thérapie...

QUELQUES DÉFINITIONS

LEXIQUE PERTINENT :

- COURRIEL: Message / correspondance par courrier électronique.
Communément appelé "e- mail" ou "mail"

- IRC: De l'anglais "Internet Relay Chat". Bavardage / causerie au moyen
d'une connexion Internet et d'un logiciel permettant les échanges et les
communications en temps réel.

- FORUM: Babillard électronique de discussion permettant les échanges
d'opinion et / ou d'information sur un sujet donné.

- VIRTUEL: Relatif à l'Internet et aux communications par l'entremise du
multimédia.

Tout d'abord, je me suis toujours donné comme ligne de conduite de considérer les services virtuels que j'offre comme étant de la CONSULTATION sexologique. Par définition, la consultation signifie : faire appel à (...). Les internautes qui me consultent font donc appel à mes services, à mes connaissances et à mes capacités et aptitudes à leur fournir des pistes de réflexion sur leur situation, des outils pertinents à explorer selon leurs valeurs, ainsi que des informations reliées à la problématique qui les concernent. Jusque là, aucun problème... La consultation n'est pas synonyme de THÉRAPIE parce qu'on peut consulter le dictionnaire, consulter le médecin, consulter un avocat etc... et aucune thérapie n'est alors présente. Consulter, c'est faire appel à quelque chose ou quelqu'un pour en obtenir des outils ou des informations qu'on ne possédait pas auparavant OU pour se faire confirmer ce que l'on sait déjà.

Mais ou trace-t-on la ligne entre la consultation et la THÉRAPIE. C'est là où la controverse commence. Certains praticiens de la relation d'aide diront qu'il est absolument impossible de parler de thérapie lorsque le travail se fait par l'entremise d'un ordinateur. Je me permets aujourd'hui un questionnement plus poussé sur cette question. Qu'est-ce qu'une THÉRAPIE? Il s'agit d'un traitement quelconque proposé suite à une évaluation et à l'établissement d'un diagnostic. La thérapie peut passer par la médication (pharmacothérapie), la verbalisation de l'état psychologique (psychothérapie), le dessin (l'art thérapie), la musique (musicothérapie) et j'en passe... Pourquoi alors, ne pourrait-on pas parler de la thérapie par l'écriture dactylographique transmise à un tiers par l'entremise du multimédia ?

Lorsqu'un individu fait une démarche thérapeutique, il se présente à un professionnel de la relation d'aide avec une problématique qui touche son vécu intérieur, sa vie affective, relationnelle, sociale, sexuelle etc... L'individu qui me contacte par courriel a les mêmes caractéristiques.

Lorsqu'un individu fait une démarche thérapeutique, il a comme objectif de se départir de cette problématique qui lui empoisonne la vie, tout en apprenant par le fait même, différents moyens de repenser ses valeurs, ses choix de vie, ses modes de fonctionnement etc... L'individu qui me contacte par courriel ou IRC a le même objectif.

Lorsqu'un individu fait une démarche thérapeutique, il est appelé à se dévoiler, se confier, faire confiance à un tiers afin de décrire ce qu'il vit et être réceptif aux suggestions proposées dans le but de voir d'un oeil différent, la situation qui le préoccupe. L'individu qui me contacte par courriel ou IRC doit faire la même démarche.

Lorsqu'un individu fait une démarche thérapeutique, il doit puiser en lui-même afin de trouver des pistes de réflexion et de solution qui lui permettront de mieux comprendre sa problématique et ainsi, mieux comprendre quelles alternatives s'offrent à lui dans le but de remédier à cette situation. Il doit s'ouvrir à la connaissance de soi. L'individu qui me contacte par courriel ou IRC aura à faire ce même travail.

Lorsqu'un individu fait une démarche thérapeutique, il pourra être appelé à effectuer certains exercices ; à confronter certaines de ses idées et perceptions d'une situation donnée ; être le plus honnête possible en ce qui a trait à son vécu personnel afin de permettre au thérapeute, une meilleure compréhension de son individualité. Ces facteurs sont essentiels à l'établissement d'un plan de traitement adapté et individualisé. Encore une fois, l'individu qui me contacte par courriel ou IRC aura à répondre aux même critères.

POUR MIEUX COMPRENDRE LES ÉLÉMENTS ÉVOQUÉS PAR LES DISSIDENTS

Ceux qui critiquent fortement la notion de THÉRAPIE lorsqu'il s'agit de l'Internet croient que ce médium est LIMITATIF. Nous ne voyons pas la personne qui nous consulte ; on n'a pas accès à l'expression non verbale et on ne peut jamais être assuré de la véracité des propos tenus lors d'un entretien "virtuel". Voici mon avis sur ces trois éléments de controverse :

VOIR LA PERSONNE :

Peut-on effectuer un travail thérapeutique avec une personne non voyante ? Une personne non voyante peut-elle être thérapeute ? Qui oserait affirmer que le fait de ne pas bénéficier du sens de la vue serait un obstacle définitif à la pratique de la psychothérapie...

Bien sûr, le fait de voir la personne devant soi est un énorme atout. Cependant, mon expérience en tant que sexologue (thérapeute) sur Internet me porte à croire que le fait de ne pas voir la personne qui me consulte me force justement à développer d'autres façons de percevoir les éléments essentiels à la bonne marche de mon travail avec elle.

L'EXPRESSION NON VERBALE :

Élément fort pertinent dans tout travail psychothérapeutique, la capacité de lire le langage non verbal de la personne qui nous consulte nous donne souvent l'occasion de voir et comprendre une grande partie du vécu de la personne. Si les mots prononcés nous semblent étranges, le langage non verbal lui, ne ment pas... Nous voyons dans le corps de notre interlocuteur, des indices de ce qu'il vit à l'intérieur de lui, même si son discours verbal peut sembler suggérer le contraire.

Ce langage non verbal est absent des consultations sur Internet... l'est-il vraiment ? La précision de plus en plus intéressante des logiciels informatiques (principalement ceux qui permettent l'échange en mode IRC) nous donne accès à une foule de possibilités techniques permettant un dévoilement émotif par l'entremise du texte ou de l'image. L'utilisation des "smileys" (petits visages dessinés au moyen des caractères du clavier d'ordinateur) donne l'opportunité de dévoiler une partie du langage non verbal en utilisant les touches de notre clavier. En voici quelques exemples : [Penchez votre tête sur le côté gauche pour voir le visage et l'expression qu'il véhicule]

smileys:

  • CLIN D'OEIL ;-)
  • SOURIRE :-)
  • GROS SOURIRE :-D ou :-)))
  • MOUE :-(
  • PLEURS :~( ou :-(((
  • GRIMACE :-P
  • INCERTITUDE :-/
  • SURPRISE :-o
  • COLÈRE >:-(
  • ÉTREINTE (((hug)))

Lors d'une consultation thérapeutique sur Internet, les usagers (habitués) de ce médium auront recours à ces "smileys" de façon quasi-naturelle pour exprimer une émotion ou attacher à leur discours, un aspect émotif qu'on ne saurait voir de façon aussi précise, si seul le texte faisait lieu de dévoilement. Certains logiciels IRC ont même prévu des petites icônes démontrant les différentes expressions faciales potentiellement utilisées lors d'une conversation (référence : http://www.icq.com). Inutile de dire que ces outils sont utilisés régulièrement dans les séances de relation d'aide "virtuelle"... Nous n'avons pas accès à tous les mouvements corporels pouvant être exhibés lors d'un contact face à face, mais de là à dire que l'Internet n'offre QUE le texte, je ne suis plus aussi rapide à tirer cette conclusion que je ne l'étais il y a quelques années.

LA VÉRACITÉ DES PROPOS

Lorsque les gens apprennent que je travaille avec l'Internet dans un but de relation d'aide, une des premières questions qu'ils me posent est la suivante : "Tu n'as pas peur de te faire raconter des histoires ?" Il est vrai qu'il n'est jamais possible d'être assuré à 100% de la véracité des propos tenus par les usagers de l'internet. Mais peut-on être assuré à 100% de tous les propos des gens qu'on voit en personne ? L'expérience démontre bien que les gens ne disent pas la vérité PURE à toute occasion et en toute circonstance... et ce, en personne comme devant un écran d'ordinateur. Lors de discussions de groupe en mode IRC pour lesquelles les usagers n'ont aucun investissement au bâton, la blague peut être à l'honneur et le manque de sérieux de certaines de ces discussions publiques peut contribuer justement à cette vision négative du potentiel aidant de l'Internet dans la relation d'aide. Le son de cloche est tout autre lorsqu'il s'agit de consultation PRIVÉES et TARIFÉES entre un-e bénéficiaire et un-e thérapeute. Entre vous et moi, si une personne choisit consciemment de payer et de prendre le temps de m'écrire de façon assidue et régulière sur une problématique donnée (les consultations sur Internet respectent approximativement les mêmes règles d'assiduité et de ponctualité que la relation d'aide face à face) dans le but de me raconter des histoires, c'est SON problème à elle et je n'ai rien à me reprocher car j'offre à cette personne, un service professionnel et personnalisé, comme si elle était devant moi, dans mon bureau. Il ne m'est jamais arrivé en plus de deux ans, d'avoir l'impression de me faire berner lors de consultations privées sur internet. En tant que thérapeute, je pense que la probabilité de se faire raconter des histoires par un-e client-e sur Internet est sensiblement la même qu'en cabinet privé... Je crois fortement que les gens qui ont envie de blaguer ne s'engageront jamais dans une démarche de consultation virtuelle moyennant des honoraires professionnels. Les praticiens de la relation d'aide sont souvent inconfortable avec l'aspect pécuniaire de la profession, mais il n'en demeure pas moins que l'investissement financier inhérent à une telle démarche donne souvent une bonne indication du degré de motivation des gens à vouloir atteindre leurs objectifs de croissance personnelle (mais cela est un autre débat).

J'ajouterais que malgré la froideur apparente d'un écran d'ordinateur, n'importe quel habitué de la navigation sur Internet (et particulièrement du "chat") vous dira qu'il est possible de ressentir des émotions diverses lors une conversation virtuelle. À mon humble avis, il est faux de croire que le fait de communiquer par texte seulement nous prive de tout l'aspect émotif du vécu des usagers. Lorsque les gens me consultent pas l'entremise de l'Internet, je peux vous assurer qu'ils vivent des émotions et il m'arrive d'en vivre à mon tour. Je suis tout aussi touchée de lire le message d'un client virtuel qui me dit à quel point ma dernière réflexion lui parle, que je le suis lorsque le même phénomène se produit dans mon bureau. J'ai la totale conviction que j'aide mes clients virtuels à avancer autant que mes clients réels... Il m'est même arrivé à quelques reprises d'avoir le sentiment que certains de mes clients virtuels progressaient plus rapidement dans leur démarche, que certaines personnes que je rencontre en personne. Faudrait- il repenser l'utilisation du mot "virtuel" lors de la référence à ces personnes qui utilisent l'Internet comme mode de communication thérapeutique? N'oublions pas que derrière la confidence et le dévoilement qui se présentent à mon écran d'ordinateur, se trouve une VRAIE personne responsable d'avoir écrit les mots que j'ai le privilège de lire !

CONCLUSION

Comment conclure un tel article sur un tel sujet d'une telle nouveauté dans l'histoire de l'humanité ? Comment conclure sinon que de dire que c'est le temps qui nous confirmera ou infirmera l'idée que l'Internet sera une option permanente dans le choix d'une démarche thérapeutique pour tout individu sensibilisé à mieux se comprendre. On parle encore de la relation d'aide virtuelle comme étant un phénomène nouveau. Et comme je le mentionnais dans mon premier article sur le sujet, à chaque nouvelle invention ses dissidents... Une chose est absolument certaine pour moi maintenant : Moins une personne est familière avec l'Internet, plus forte sera sa critique. À l'opposé, plus on conscientise les bénéfices potentiels du travail "virtuel", moins on réussit à trouver d'arguments solides pour en minimiser l'efficacité et mettre en doute la qualité des services qu'ont peut y retrouver. Mais n'est-ce pas là une caractéristique bien humaine ? Ne critique-t-on pas plus rapidement ce qu'on connaît le moins ?

Josée Leboeuf, M.A.
;-)
Sexologue clinicienne et psychothérapeute
Mars 2000
(RÉVISION DE L'ARTICLE : Réflexion sur la place de l'Internet dans la relation d'aide)

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