Dans son nouveau film "It's a free world" (C'est un mode libre), le réalisateur et documentariste britannique Ken Loach livre, à 71 ans, une charge implacable contre le libéralisme britannique et ses excès : l'exploitation des travailleurs immigrés, un esclavagisme moderne. Il montre ainsi "un côté noir du miracle anglo-saxon" (TF1) de prospérité économique.
Son film précédent "Le vent se lève" portant sur les luttes intestines de l’Irlande, lui avait valu la Palme d'or 2006 à Cannes.

"A travers l'histoire d'Angie, "formidablement interprétée" par Kierston Wareing, et à travers son entourage, le réalisateur constate: l’oppressé est aussi oppresseur, le cynisme ambiant permet à chacun de se déresponsabiliser, le système repose sur un terrible enchaînement de peur et de violence. (Libération)

Le prologue du film la cueille en plein boulot, dans une agence d'intérim, "euphémisme qui cache à peine une forme parfaitement légale d’esclavage moderne" (Libération), enchaînant des entretiens avec de pauvres bougres, ressortissants des pays de l’Est où la société est allée sélectionner de la chair fraîche pour nourrir le fameux exemple britannique (de prospérité et de baisse exemplaire du chômage, sur lequel il est de bon ton, "dans l’euphorie sarkozyenne ambiante, de s’extasier" (Libération).

«Vous êtes infirmière ? Je pourrai vous trouver des jobs de femme de ménage.» Suivant. «Vous êtes électricien ? Formidable. Signez là.» Suivant. «Vous êtes prof ? Ah, non, désolée, ce sera pour la prochaine fois.» Suivant.

Mais tout cela vaut mieux, malgré tout, que les clandestins qui tentent de s’immiscer dans le dispositif, ramassant les miettes du maigre gâteau. Eux sont turcs, iraniens, irakiens ou ukrainiens, acceptent absolument n’importe quel boulot et constituent une inépuisable manne pour tous ceux qui ont envie de s’en sortir. Comme Angie. (Libération)

Quand son employeur la vire injustement, elle n’hésite pas à monter sa propre entreprise avec sa meilleure copine. Voulant se faire une place à tout prix (assurer l’avenir de son enfant en le faisant étudier dans une école chic, rouler dans une grosse bagnole et entasser du fric) dans ce "Free World" où chacun tente de s'en sortir et roule pour soi, elle exploite sans état d'âme des immigrés sans papiers.

Loach avait déja dépeint les problématiques politico-sociales de notre temps, dénonçant les inégalités et les violences sociales, dans "Bread and Roses" traitant des immigrés mexicains aux Etats-Unis, dans "The Navigators" traitant des ouvriers du rail et dans Just a Kiss" portant sur la communauté pakistanaise de Grande-Bretagne.

"Angie est un produit de la contre-révolution Thatcher, explique le cinéaste. L'objectif, c'est la compétition, sans pitié. Il fallait amener le spectateur dans la logique d'Angie afin de montrer l'horrible de sa démarche. Pour moi, le capitalisme est amoral, il se fonde sur l'exploitation, sur le profit à n'importe quel prix." (le Figaro)

Dans The Flickering Flame, un documentaire sur les dockers de Liverpool dans les années 1990, «J'évoquais déjà la disparition de la sécurité de l'emploi, la recrudescence de ces agences de travail temporaire. Les contrats à durée déterminée, les missions journalières, tout cela mène à la précarité. Aucun parti ne s'y oppose. Le New Labour comme les tories ou les libéraux sont tous d'accord. C'est indigne et inhumain », raconte Ken Loach.

Et de dénoncer l'hypocrisie du système économique:« Pour certains, l'économie ne pourrait pas survivre sans la main-d'œuvre à bas salaire, sans les clandestins. Et puis il y a ceux qui veulent les expulser pour le bien du pays.» (Le Figaro)

Nous ajouterions tout de même un bémol à la vision que nous semble présenter Libération de la (presque) bonne fille, "femme moderne, courageuse", qui est excusable dans ses choix. Nous ne croyons pas que tous sont, comme Angie, prêts à tout pour s'enrichir. Il existe toujours des gens qui ont plus de morale que ça ... quitte à rester plus pauvres.

(1) Le libéralisme économique est la thèse selon laquelle la liberté d’action individuelle la plus complète (liberté d'entreprendre, libre choix de consommation, de travail, etc.) est souhaitable en matière économique et où l’intervention de l’État doit y être aussi limitée que possible.

Sources:
Le Figaro
Libération
Rue89

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