"Le Conseil de presse du Québec est (...) sur la première ligne pour constater l'inconfort grandissant des citoyens quant à la quête d'informations (des média) en situation de crise. Le nombre de plaintes reçues à cet égard est en augmentation.

«Il y a un énorme ressentiment des proches parents et des victimes à l'endroit des médias», juge M. Raymond Corriveau (président du conseil) qui confie que, pour le Conseil, «le mois de septembre a été gros». «La grogne est bien installée, je peux vous le dire.» (...) Micros sous le nez des victimes, télévisions inquisitrices et postées au domicile des proches, impertinents porteurs de calepins qui frappent aux portes avant les policiers...

(...) Interpellé par le mécontentement populaire, le Conseil de presse du Québec souhaite organiser un colloque sur la responsabilité des médias en situations d'exception. «Nous sommes mûrs pour faire cette réflexion collective», croit Raymond Corriveau, qui souligne la nécessité d'asseoir ensemble non seulement le public et les journalistes, mais aussi les administrateurs des médias.

(...) Le professeur Marc-François Bernier (professeur au département de communication de l'Université d'Ottawa) juge cette réflexion indispensable mais avoue du même souffle ne pas tellement croire qu'il est possible de renverser les manières de faire. «Il y a trop d'intérêts économiques en jeu, c'est la concurrence qui mène le tout maintenant, affirme M. Bernier.

L'effet de répétition est aussi inscrit au portrait général. Dans les mois qui ont suivi la tuerie de Columbine, à Littleton au Colorado, les États-Unis sont devenus le théâtre de plusieurs coups de panique, le pays entier vibrant au rythme d'une imposante hantise. De la même manière, au Québec, après le geste extrême de Kimveer Gill, au collège Dawson, le ministère de l'Éducation a recensé une quinzaine d'incidents qui ont mené à l'arrestation d'autant de jeunes.

«C'est un peu comme si aucune école, aucun enfant, n'était désormais à l'abri d'un enragé armé d'un fusil et de l'envie de tuer», écrivait le professeur Lynnell Hancock, de l'école de journalisme de la Columbia University, au lendemain des événements du Colorado. (...)

Pourtant, aux États-Unis et partout en Amérique, les taux de criminalité sont en chute libre. Le National School Safety Center américain calcule que, depuis le début des années 90, le nombre de personnes assassinées dans les écoles chaque année est passé de 43 à 14. Le nombre de crimes violents dirigés contre des jeunes de 12 à 18 ans dans les écoles a diminué de moitié pendant la même période.

(...) La réalité, c'est que les enfants ne sont pas plus violents aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 20 ans, explique Lynnell Hancock.

Les écoles n'en sont pas à leur premier événement du genre, particulièrement aux États-Unis. «Le massacre de Columbine a inscrit une marque morbide à cause de la couverture médiatique d'une intensité sans pareil», a expliqué cette semaine la professeure de sociologie et d'affaires publiques à la Princeton University Katherine Newman, dans un entretien au Baltimore Sun. «Ce type d'incidents existait avant Columbine, mais le traitement des médias les a inscrits sous la catégorie "fusillades dans les écoles".»

La vérité, selon Marc-François Bernier, c'est que, pendant que les actes criminels diminuent, la couverture médiatique n'a cessé de gonfler. «Ça finit par créer un faux sentiment de dangerosité chez les personnes», note-t-il.

Source:
Quand les médias alimentent la psychose
Marie-Andrée Chouinard
www.ledevoir.com/2006/10/07/120021.html