Selon une enquête de l'Institut Upsa de la Douleur sur la prise en charge de la douleur chez les malades mentaux, la douleur est mal prise en charge chez les gens souffrant de maladie mentale.

Près des trois-quarts des psychiatres interrogés estiment «que la place de la psychiatrie n'est pas satisfaisante dans l'évaluation de la prise en charge des patients douloureux chroniques». Plus des deux-tiers reconnaissent ne pas être formés à cette question. Et la très grande majorité ne connaissent pas les instruments d'évaluation pour mesurer la douleur.

Le manque de prise en charge se retrouve partout, selon Dr Eric Serra, responsable de l'enquête. Tant chez les malades mentaux suivis en hôpital général que chez ceux reçus dans les centres spécialisés.

"Toujours, la douleur somatique passe au second plan. Il ne s'agit pas là de souffrances psychiques, que l'on pourrait attribuer à la maladie mentale, mais bel et bien de douleurs liées au corps, comme des métastases cancéreuses, des douleurs articulaires, des maux de tête, voire des douleurs dentaires.

Il y a plusieurs explications. D'abord, l'enquête révèle que les malades mentaux ont très peu de médecins traitants, et sont donc mal suivis. En second lieu, la maladie mentale isole. Et affaiblit les réactions. «Dans ma pratique, à la consultation antidouleur de l'hôpital d'Amiens, explique Eric Serra, on est confronté à des attitudes particulières, parfois indifférentes du patient, des attitudes difficiles à interpréter. Celui-ci ne se plaignant pas.» D'autres fois, c'est l'incertitude.

L'enquête montre aussi que plus d'un psychiatre sur deux estime «que la douleur chez leurs patients ne s'évalue pas et ne se traite pas comme chez un autre individu».

Une idée communément répandue est que les médicaments psychotropes auraient un effet antalgique ; et que donc le patient, au cas où il aurait pu avoir une douleur somatique, serait de toute façon soulagé. En réalité, rien ne le démontre : peu d'antidépresseurs se révèlent avoir une action simultanée contre la douleur, alors que les médicaments antipsychotiques l'ont parfois. «Sur cette question, comme sur bien d'autres, le plus marquant est... l'absence de données», poursuit le Dr Serra.

"Reste ce constat plus général : depuis vingt ans, si un effort important a été accompli en France pour une meilleure prise en charge de la douleur, il demeure des trous noirs. Récemment, des enquêtes ont montré que chez les nourrissons comme chez les personnes âgées, celle-ci restait insuffisante. En psychiatrie, tout est à bâtir. L'enquête révélant même que très peu d'établissements psychiatriques ont un Comité de lutte contre la douleur (Clud), alors que la loi l'exige. Et un grand nombre de psychiatres interrogés ignoraient même ce que ce sigle voulait dire..."

Source: Libération, 6 décembre 2006.