Bonsoir
J'ai fait la connaissance de l'alcool trés tôt dans ma vie de petite fille, puisque mon père avait un problème avec.
Ma mère était dépressive suicidaire, et mon père alcoolique.
J'ai grandi comme j'ai pu, bloquée entre la terreur de la mort de ma mère, la terreur inspirée par la violence de mon père, l'impuissance, la honte et la culpabilité d'être née fille et non garçon pour faire plaisir à ma mère qui aurait préféré un fils, de ne pouvoir la sauver et lui donner un peu de baume au coeur, et l'impuissance, la honte et la culpabilité d'être la fille d'un tel père qui ne se tenait pas, et qui préférait l'alcool à tout le reste.
Vers l'âge de 14 ans, ma mère m'a poussée à sortir dans les bals de villages. Elle disait qu'à mon âge, elle aurait aimé sortir, mais que ses parents le lui interdisaient, que je devrais profiter de sa largesse d'esprit puisque j'avais cette chance.
Je préférais rester dans ma chambre à lire, je n'avais aucune envie d'aller dans des bals.
Mais ma mère était du style à ne pas décrocher d'une idée lorsqu'elle l'avait en tête : Elle m'a répété que j'avais tort de ne pas vouloir sortir, que je m'amuserais, jusqu'à ce que je cède...
De guerre lasse, j'ai accepté qu'elle m'accompagne avec des voisines plus âgées que moi dans un de ces bals qui sentaient le pastis, le tabac froid, où la musqiue raisonnait dans les salles trop grandes aux plafonds trop hauts, et où je ne me sentais pas du tout à ma place.
Ma mère devait venir nous rechercher à la fin du bal.
Dans cette salle des fêtes, comme chez mes parents, j'étais pétrifiée de malaise et de peur.
Mais tout au fond de la salle, ce jour là, j'ai entrevu une porte de sortie à ce malêtre, elle s'appelait "la buvette".
J'y suis allée, j'ai bu un muscat.
C'était sucré, mais c'était fort.
Ca faisait chaud.
J'en ai rebu un deuxième, puis un autre, j'étais charmante, les invitations ont commencé à pleuvoir, et les offres de verres aussi.
J'avais trouvé mon salut : Plus de malaise, plus de peur, je me sentais à ma place, je pouvais danser, rire comme une hystérique, j'étais dans le ton du monde qui m'entourait.
Mon "salut" à travers l'alcool a duré jusqu'à mes 36 ans.
Je pourrais comparer mon aventure acloolisée à l'ascension puis la descente d'une pyramide :
A partir de mes 14 ans, j'ai commencé à vivre à 200 à l'heure; Je vivais un alcoolisme qu'on appelle festif; Je buvais plus que la plupart de mes camarades, mais "noyée dans la masse", je passais presqu'inaperçue, tout le monde buvait plus ou moins d'alcool, était plus ou moins imbibé à chaque sortie...
A 17 ans, on me ramassait ivre morte, je ne me souvenais plus de ce que j'avais fait la veille, bien souvent, tellement mes sorties étaient "arrosées", mais là encore, mon entourage en riait, ma mère boudait quelques jours, puis c'était oublié.
A cet âge là, mon alcoolisation s'est doublée d'anorexie et de boulimie vomitive; Je me remplissais de nourriture et me faisais vomir.
Je fumais aussi pas mal.
J'ai beaucoup maigri. Ma mère mettait cette maigreur sur le compte des cigarettes.
Je me trouvais mince, je plaisais beaucoup, je multipliais "conquêtes" sur conquêtes masculines...J'étais contente et fière de moi en aparence.
Si j'avais accepté de me poser ne serait-ce que quelques secondes, à cette époque là, j'aurais vu combien je me fuyais, me dégoûtais et me faisais honte...
Mais il n'était pas question que je me pose ! Plus j'avançais dans la montée de cette pyramide main dans la main avec l'alcool, plus je me faisais peur...
20 ans, 23...Secrétaire de direction, puis hôtesse en compagnie aérienne...
Je buvais toujours beaucoup, faisais la "fête", jouais les call girls pour hommes d'affaire ou politiques...Les palaces, les grands restaurants, les voyages...Je me sentais comme un minuscule excrément déguisé en jolie poupée, dans un univers de strass et de billets de banque.
J'étais perdue, à la dérive, mais ma mère était fière de moi, je travaillais dans une compagnie aérienne, je fréquentais des gens haut placés...
J'ai continué l'escalade.
A 27 ans, je rencontre une jeune homme homosexuel qui me donne l'impression de le connaître depuis toujours (forcément, je comprendrai plus tard qu'il a exactement les mêmes comportements que ma mère).
Son père a un cancer du foie, il n'en a plus que pour quelques temps à vivre, mes parents se demandent si je me "caserai" un jour, ma vie de patachon commence à leur sauter aux yeux...
Nous décidons de nous marier !
Sans nous le dire, nous savons chacun que cette décision rassurera nos familles respectives, même si nous savons que nous nous lançons dans une vulgaire mascarade qui peut nous coûter trés cher; Mais c'est plus facile de fermer les yeux et de foncer.
"Techniquement", nous parvenons à avoir un rapport sexuel; Ca nous rassure, nous pourrons jouer au couple "normal"...
Un mois aprés notre mariage fantoche, j'attends un bébé. Je suis heureuse comme tout; Je bois beaucoup moins d'alcool, je suis trop occupée à ce nouveau bonheur.
Mon bébé né, je reprends le travail deux mois aprés sa naissance, c'est le papa qui le garde jusqu'à ses 8 mois, puis une nourrice.
J'ai des horaires décallés en tant qu'hôtesse, je relève la nourrice une fois rentrée du travail au lieu de dormir, je n'en peux plus, mais je tiens le coup, je suis trop heureuse d'avoir cet enfant.
Il a 18 mois lorsque j'attends mon second bébé. Je suis trés contente à nouveau, même si le père aurait préféré que j'avorte car il voulait bien jouer la comédie du mariage, mais pas avoir d'autre enfant.
J'arrête de travailler pour m'occuper des mes deux fils.
Et là, j'entame la descente de la pyramide, sur l'autre versant :
Je commence à boire seule à la maison; Pendant la sieste des enfants, je cuve l'alcool que j'ai bu en dormant moi aussi, et lorsque mon mari rentre en fin d'aprés-midi, je fais comme si de rien n'était.
Mais je vais de moins en moins bien...Je me sens de plus en plus malheureuse; Chaque matin, je pleure, j'appréhende la journée qui arrive et qui ressemble affreusement à la veille.
Mon mari ne me soutient pas, il part au travail, rit avec ses collègues, prend un air sérieux et responsable lorsqu'il rentre....
Je me sens m'enfoncer dans des sables mouvants, l'alcool à la main.
Les disputes se succèdent avec mon mari qui devient violent avec notre fils aîné; Je bois de plus en plus surtout en fin de journée, je cache des bouteilles un peu partout dans la maison.
Je me sens coupable des coups que mon mari inflige à notre fils, je me dis que c'est à cause de moi s'il se met en colère aprés lui de cette manière...
Je suis trés mal mais je ne fais rien à part anesthésier mes douleurs dans l'alcool; Je ne sais même pas que j'ai le choix de faire quelque chose tellement je suis prisonnière d'un enfermement mental qui me dépasse.
Nous avons ouvert une entreprise dans le midi; Je travaille environ 15 heures par jour, m'occupe des enfants, du ménage, je vis sur les nerfs, l'alcool est mon carburant dans un monde d'obligations d'où le plaisir est complètement absent.
Mon mari me dévalorise sans cesse, mais je ne le vois pas; Au fond de moi je pense qu'il a raison, que j'ai tous les torts, que je ne suis qu'une ivrogne et une lâche qui ne mérite que le rejet; Mais tout haut, je hurle ma souffrance d'individu asphyxié et qui se sent invisible.
Nous nous disputons chaque jour même devant les enfants...: Inconsciemment, j'ai pris la relève de mes propres parents.
Ca me rend affreusement malheureuse de me voir faire peur ainsi à mes enfants avec nos disputes, mais je ne sais pas arrêter cette spirale infernale; Je me sens prise dans un tourbillon duquel je ne sais pas m'extraire.
Je veux en finir avec cette vie de folle; Je tente un jour de mettre fin à ma vie en sautant par-dessus le balcon, mais suis retenue par mon mari à qui j'avoue en larmes que je suis alcoolique, que je n'en peux plus, que je ne sais pas comment stopper tout ça.
Mais il ne me croit pas.
Je retrouve donc mon alcool.
La descente aux enfers se précipite et est de plus en plus douloureuse.
Elle durera jusqu'à ce que je touche son fond, à mes 36 ans.
Ce jour là, je sens que je n'ai plus rien à perdre :
J'en ai marre d'en avoir marre.
J'appelle les Alcooliques Anonymes, le soir même il y a une réunion, je m'y rends.
Pour la première fois de ma vie, je me sens à ma juste place dans un endroit avec d'autres êtres humains, et ce, sans avoir besoin de m'être alcoolisée !
Je viens de monter dans un train en marche où je vais d'abord apprendre que je ne suis ni un déchet ni une coupable, mais une malade qui peut se soigner, je vais apprendre à me connaître, à m'Accepter, avec l'aide d'autres malades alcooliques qui, comme moi, ont le désir de vivre sans alcool un jour à la fois.
En soignant mon alcoolisme, j'ai aussi commencé à soigner mes troubles du comportement alimentaire, des souffrances profondes sont remontées que j'avais enfouies depuis mon enfance...
Petit à petit, plus mes jours d'abstinence d'alcool se sont accumulés, plus ma dignité a remplacé ma honte et ma culpabilité, j'ai commencé à relever la tête, à prendre Confiance en moi, à ne plus accepter ce qui ne m'allait pas, à changer ce que je pouvais changer, même si ça me faisait trés peur parce que j'allais vers l'inconnu...
Avec courage et Confiance en la Vie, j'y suis allée.
Mon ex mari et moi avons divorcé 4 ans aprés que j'aie arrêté de boire, et 18 mois aprés la naissance de notre fille dont il voulait que j'avorte .
Ma mère s'est défenestrée un an aprés mon divorce....Elle est décédée paraplégique deux an aprés son suicide, 4 mois aprés le décés de sa tante qui était aussi sa mère adoptive, .
Mon père est mort de la gangrenne un an aprés ma mère, j'avais 45 ans.
Sa mère, ma grand-mère, l'a suivi un an aprés...
En 3 ans, j'ai perdu tous mes ascendants.
Entre temps, j'ai rencontré l'Homme de ma Vie que j'Aime et qui m'Aime; Nous sommes mariés depuis 7 ans à présent.
Mes enfants vont bien et sont heureux.
Même si ça n'a pas été sans mal pour en arriver là, j'y suis arrivée et c'est ça l'important.
Il m'aura fallu un peu plus de 10 ans avant que je me sente guérie de ma maladie alcoolique, il m'aura fallu beaucoup partager et beaucoup parler avec d'autres malades ou anciens enfants en souffrance comme je l'avais été, pour me libérer de mes troubles du comportement alimentaire et de ma dépression, que je m'en sente guérie aprés plus de 13 ans de thérapie, et que je puisse vivre une vie heureuse sans alcool, sans tabac ou addiction au morbide .
Tout ça c'est ma vie.
Elle aurait pu être différente, comme un long fleuve tranquile, mais non, d'où je venais, elle ne pouvait pas être comme ça, elle ne pouvait qu'être tumultueuse comme un torrent.
A présent, à 50 ans, oui, je la sens devenir un long fleuve tranquile.
Et encore...C'est "juste pour aujourd'hui".:)
Si mon témoignage a pu apporter quelque espoir à certains, je m'en réjouis.
C'est à ça que ça sert aussi, une vie...:)
Poulou
