En janvier dernier, l'Agence du médicament française (ANSM) mettait en garde contre les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) à partir du 6e mois de grossesse. Une étude de l'Inserm montre maintenant que l'ibuprofène (Advil) est risqué dès le début de la grossesse.

Il est susceptible d’entraîner des perturbations du système hormonal dans le testicule fœtal avec des conséquences éventuelles sur le développement du tractus urogénital masculin, montre cette étude publiée dans la revue Scientific Reports.

Ces effets sont obtenus à des doses analogues à la posologie classique.

Ce médicament, disponible sans ordonnance, est l’un des plus consommés par les femmes enceintes. Près d’une femme sur 10 déclare en avoir pris au cours de sa grossesse, mais elles seraient en réalité jusqu’à 3 sur 10 à en prendre en automédication selon les études, rapportent les chercheurs.

« Les recherches épidémiologiques menées ces dernières années ont montré une association entre la prise d’antalgiques pendant la grossesse et la survenue d’effets indésirables chez l’enfant (petit poids de naissance, asthme, prématurité etc).

D’autres recherches combinant épidémiologie, expérimentation in utero chez le rat et ex vivo sur des organes de rat et humains, entreprises au sein de l’Irset en collaboration avec des chercheurs danois de l’Université de Copenhague ont montré que le paracétamol (1) et l’aspirine pouvaient perturber le système endocrinien testiculaire fœtal avec comme conséquence une augmentation du risque de non-descente des testicules (cryptorchidie). Seuls les effets de l’ibuprofène n’avaient pas encore été testés. »

(1) Acétaminophène, Tylénol.

Bernard Jégou et Séverine Mazaud-Guittot de l’Inserm ont, avec des collègues internationaux, réalisé deux séries de tests pour étudier les effets de l’ibuprofène aux 1er et 2e trimestres de grossesse sur le testicule fœtal humain. Dans la première, ces testicules ont été mis en culture, dans la seconde, ils ont été greffés sur des souris.

Lorsque les testicules,au 1er trimestre de grossesse, sont exposés à l’ibuprofène, la production de testostérone par les cellules de Leydig diminue fortement. « Au cours de la même période (jusqu’à 12 semaines de développement), les chercheurs observent pour la première fois que l’ibuprofène affecte aussi la production d’hormone anti-müllérienne par les cellules de Sertoli. Cette hormone joue un rôle clé dans la masculinisation du tractus génital. »

« L’expression des gènes codant pour le fonctionnement des cellules germinales, à l’origine de la formation des spermatozoïdes, est aussi largement réduite. » La production de prostaglandine E2 (connue pour être produite par les testicules et pour intervenir dans de nombreux processus biologiques) et les gènes correspondants sont eux aussi inhibés.

« Tous ces effets sont observés très tôt au cours du premier trimestre, et aucun n’est retrouvé sur les tests effectués au cours du second trimestre. »

Pour les chercheurs, les conclusions de ce travail sont à prendre au sérieux :

« Il existe une fenêtre de sensibilité bien précise au cours du 1er trimestre de développement du fœtus pendant laquelle l’ibuprofène présente, semble-t-il, un risque pour le futur appareil génital et reproducteur de l’enfant. Tous les faisceaux d’indices convergent vers une grande prudence quant à l’utilisation de ce médicament lors du 1er trimestre de grossesse. En outre, si on prend aujourd’hui en compte le corps de données disponibles, il apparaît que la prise de plusieurs antalgiques pendant la grossesse représente un danger encore accru pour l’équilibre hormonal du fœtus masculin. »

La revue Prescrire estimait en janvier que le message de l'ANSM était « utile mais incomplet ». « Il est à la fois plus prudent et plus simple d'éviter tous les AINS tout au long de la grossesse. »

Psychomédia avec sources : Inserm
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