Réponse à: ALEXANDRA (poids et féminité)

Surnom: ALEXANDRA
Pays: France
Âge: 17
Sexe: féminin

Bonjour à vous et merci pour ce site si pertinent. Nous vous suivons de France avace des amis et sommes très contents de vous lire.

Je voudrais savoir pourquoi autant de femmes, jeunes femmes ou même adolescentes vivent aussi mal leur féminité? Pourquoi est-il aussi fréquent de la rejeter? De se sentir mal? Voir de se sentir "sale" (en dehors des cas de personnes violées, abusées, etc., malheureusement)? Pourquoi est-ce aussi difficile de vivre ses menstruations alors qu'il ne s'agit somme toute que d'un phénomène naturel, ayant un rôle précis et utile pour le corps ?

Ce mal-être ou plutôt ce mal-vivre féminin est-il dû notamment à des siècles de tradition judéo-chrétienne où la femme a été très mal considérée, méprisée par les hommes d'Eglise, et seulement considérée (en tout cas la plupart du temps) comme un "ventre" qui sert à faire des descendants ? Le poids de cet héritage ne pèserait-il pas encore sur nous, des "descendantes d'Eve" ?

Ou bien y at-il des mutations très fortes en ce moment même dans l'identité de la femme (justement, elle n'est plus seulement une "femme au foyer", elle revendique le droit d'être autonome, libre, épanouie, etc.), mutations qui expliqueraient le désarroi actuel ? C'est-à-dire que certaines femmes ne sauraient plus très bien où elles en sont?

Désirent-elles réellement se marier, avoir des enfants, bref, une vie rangée, ou bien placent-elles d'autres priorités dans leur vie : elles ne savent plus très bien.

Ou bien encore n'est-ce dû qu'à l'histoire personnelle des femmes, c'est-à-dire que le mal-être viendrait des parents, des mères qui elles-mêmes refusent leur féminité et n'apprennent pas à leur fille à "endosser" leur identité?

Je précise que cette question me concerne, dans la mesure où ma propre mère était comme cela, et j'essaye de ne pas trop lui en vouloir. J'ai été anorexique pendant un peu plus de 2 ans. Puis j'ai repris du poids malgré moi et je me suis fais vomir car je refusais de grossir. Mon poids a fini par se stabiliser de lui même (comme quoi, il faut faire confiance à son corps !) et après j'ai reperdu du poids sans vraiment me restreindre, et actuellement depuis plusiers années mon poids est celui d'avant mon anorexie (poids normal mais dans la limite inférieure). Certes je ne nie pas me surveiller de près, voir me restreindre très fort le soir. Mais plus d'anorexie proprement dite. Je suis actuellement suivie (depuis plus de 2 ans) par un psychiatre (femme !) et j'ai énormément appris, compris. D'ailleurs mon 1er psy a été un homme et j'ai arrêté d'aller le voir au bout de quelques mois car je bloquais à lui confier vraiment tout. D'où ma démarche de trouver une femme...

Je sais que mon problème avec la féminité viens en grande partie de ma famille. Mais néanmoins, tant et tant de femmes autour de moi, ou dans des témoignages, etc. rencontrent le même problème. Aussi je m'interroge sur ce phénomène de "masse". Pourquoi est-ce aussi fréquent? Pourquoi aussi la société prône-t-elle un corps féminin qui a tout des attributs masculins (pas de hanches, corps fuselé, musclé, pas de ventre) ? C'est terrible de se dire que les femmes se rendent malades pour quelque chose d'impossible. Il n'y a pas de comparaison possible entre le corps masculin et le féminin. Une femme a un peu de hanches (ou beaucoup!), un peu de ventre et c'est ainsi. Mais c'est tellement dur de l'accepter. Pour ma part je ne veut absoluement pas avoir d'enfants (peur d'en faire des "névrosés", terreur de grossir pendant la grossesse, etc.). Cela paraît anormal, car la société occidentale a étiqueté les femmes = veulent à tout prix un enfant et les hommes = refusent à tout prix de s'engager ! La réalité est autrement plus nuancée!

Les hommes ont-ils aussi tant de problème avec leur identité masculine? Est-ce seulement moins connu du grand public? Moins médiatisé?

Je vous remercie de me répondre, même si cela doit prendre du temps. Bien que faisant ma psychothérapie, ce problème m'interpelle et me met dans un profond désarroi. Personne ne semble soulever ce problème, et pourtant...

Bien à vous.

Chère Alexandra,

Excuse-moi d'être un homme ! Je te réponds quand même : je suis psychothérapeute et je reçois, depuis de nombreuses années, des jeunes filles, des femmes et des couples, en thérapie individuelle ou de groupe.

Malheureusement, tu n'es pas la seule femme à éprouver des difficultés à assumer ta condition féminine ! Cela semble dû à une conjonction de plusieurs facteurs, facteurs que tu évoques toi-même : - en grande partie, l'éducation parentale et surtout, l'exemple de ta mère, même si elle ne te l'enseigne pas verbalement. Son comportement conscient et ses attitudes inconscientes sont des messages pour les enfants. Si elle n'est pas heureuse d'être une femme, tu l'as senti confusément (ou clairement) depuis toujours. - la culture dite "judéo-chrétienne", mais surtout l'éducation catholique romaine traditionnelle - qui a méprisé souvent et le corps et la femme. - il est possible que les deux facteurs se combinent : par exemple, si ta mère a, elle-même, subi une éducation religieuse stricte. - les mutations sociales compliquent tout en creusant le fossé entre les générations : nos parents n'ont pas connu la pilule, ni l'IVG, ni les cassettes et les films érotiques ou porno (jusqu'en 1975, il était interdit, en France, de projeter un film où l'on apercevait une femme nue, avec le moindre poil sur le pubis (pourtant fort naturel !).

Malgré tout cela, de nombreuses femmes sont heureuses et même fières de l'être.

Comme tu le soupçonnes, il est tout aussi difficile d'être un homme : on attend de nous des "performances" permanentes; les difficultés sexuelles éventuelles sont plus visibles et ne peuvent être dissimulées ou feintes (manque d'érection, par exemple). Il faut toujours "être à la hauteur" . mais on ne sait pas à la hauteur de qui ou de quoi ! Tu peux lire à ce sujet un livre écrit par une femme : "XY, de l'identité masculine" par Elizabeth Badinter.

Tu fais très bien d'entreprendre une psychothérapie, mais comme tu le sais, c'est souvent assez long : plusieurs mois ou années.

Je te suggère, parallèlement à ta thérapie personnelle, quelques séances ou stages de thérapie en groupe qui te permettront de partager, dans l'intimité et sous le sceau du secret, avec d'autres femmes (et pourquoi pas avec des hommes !), sous la protection d'un(e) thérapeute spécialisé(e). Au début, tu peux rester très discrète et te contenter d'écouter les autres, cela te créera des complicités.

Quant à tes difficultés de poids, elles sont classiques aussi (anorexie et/ou boulimie) et correspondent, comme tu l'as bien senti, non pas à des "troubles alimentaires" mais bien à des troubles de l'identité féminine; les régimes et l'effort ne servent donc à rien : il faut apprendre, petit à petit, à s'aimer et à s'accepter, dans son corps et dans son c ur, c'est-à-dire dans ses sensations et dans ses sentiments.

Pour ce qui est des "modèles" féminins des magazines, n'oublie pas que la plupart des mannequins sont choisies et habillées par des couturiers souvent homosexuels !

Bon courage, l'expérience montre que tu t'en sortiras un jour.

Serge Ginger, Psychologue