Réponse à: Chantal (a trouvé son frère pendu)

Surnom: Chantal
Pays: Belgique
Âge: 37
Sexe: féminin

Mon frere ne s'était pas présenté à son travail ce lundi et le personel et son patron se sont inquiétés puis m'ont téléphoné pour savoir si j'en avais. J'étais très inquiete parce qu'il était dans une période difficile (rupture avec son amie (c'était sa première expérience de vie conjugale) , la perte vendredi prochain se son boulot, le déléménagement vers un tout petit appartement, des réponses négatives de ses lettres de candidatures... et Dieu sait quoi encore. Bref, je suis allée voir chez lui, personne ne répondait, ça augmentait mon stress ou la peur de la surprise J'ai diu faire intervenir la police pour ouvrir la porte d'entrées, puis avec eux, nous (mon conjoint et moi) somes montés jusqu'a son appartement Le policier a entrouvert la porte, et moi je l'ai ouverte tout a fait. C'était un cauchemard!!! Il s'était pendu !!!!!! J'ai peur. Je l'ai vu là pendu à une grosse corde, raide et surtout mort. J'ai hurlé après lui, coyant qu'il était vivant, j'ai touche ses murs pour qu'il sente que j'étais là, mais aucune réaction. J'aurais été incapable de retourner voir. J'ai pris des calmants et maintenant je me sens mieux, mais demain,les autres jours??? Comment prévenir ma famille? (elle est fragilisée par le coma et la rééducation de ma soeur. Toute la famille est fragile! Ca fait 9 mois qu'elle est à l'hopital et tout le monde a perdu son énergie... Je ne sais pas quoi faire, mais je ne tiendrais pas le coup. Je fais une thérapie depuis 2.5 ans pour des envies suicidaires et un mal de vivre qui dure depuis plus de 25 ans. Tout me semble un effort, la vie elle ne veut pas de moi, et j'ai dur à vivre avec elle. Mon frere c'était pareil, une lutte de tous les jours pour affronter le passé. Si lui il a craqué, mes feres soeurs (5)ma mère et moir, allons nous passer par là aussi? J'ai découvert il y a 10 ans mon père sur un lit de mort alors que je m'attendais à ce qu'il rouspète sur moi parce que je ne voulais pas le retirer de l'hopital (il était condamné mais j'avais beaucoup d'espoir.

Pourriez-vous m'expliquer s'il y a vraiment une porte de sortir pour ma famille et moi-même? Que dois-je faire pour être plus forte? J'aimais beaucoup mon frere tous comme les autres aussi d'ailleurs. La vie de notre famille est une avalanche de problèmes et elle était (lorsque nous étions petits une avalanche de torture psysique et mentale.

Merci de m'avoir lue alors que ça ne doit pas être facile parce que je suis partagée entre la douleur et le calmant qui m'emène sur un nuage. J'ai très peur.

Bonjour Chantal.

Jours noirs et sombres que ceux que vous vivez présentement. Jours de peurs et d'angoisse aussi. Vous vous demandez si vous pourrez arriver à passer à travers la vie, sans doute comme si un mauvais sort s'acharnait à vous mettre au tapis et à vous y laisser.

D'emblée, Chantal, je vous dis que c'est normal que vous vous sentiez ainsi en ce moment. Vous avez eu votre dose de problèmes et vous avez résisté avec acharnement depuis 25 ans. Vous êtes en thérapie depuis deux ans et demi. Vous n'aviez pas besoin de ça aujourd'hui pour vous fragiliser davantage.

Cependant, il est encore possible de passer au travers de cette épreuve, même si présentement il est normal que vous en doutiez.

Je suis un peu déçu de ne pas pouvoir répondre aussi adéquatement que je voudrais à vos questions mais il faudrait pour cela que je connaisse les ressources psycho-sociales dont vous disposez dans votre milieu, ce qui n'est pas le cas. Je vais donc vous indiquer ce que, théoriquement, vous pourriez faire mais il vous appartiendra de trouver les spécialistes adéquats pour réaliser cela.

Permettez-moi Chantal de structurer ma réponse en trois temps. Une première partie visera à répondre à vos besoins plus immédiats. Une deuxième partie plus théorique vous expliquera les phases de deuil et les étapes par lesquelles vous et votre famille risquez de passer au cours des prochains mois. Une troisième partie enfin tentera de vous donner des pistes pour vous-mêmes.

PREMIÈRE PARTIE : LES BESOINS IMMÉDIATS.

Étant donné le délai de réponse à votre lettre, la famille doit être actuellement au courant. S'il reste des gens proches qui ne sont pas au courant de la manière dont votre frère est décédé, il est important de le leur dire, Chantal. Chacun a droit de savoir et les cachettes qui pourraient être faites maintenant ne seraient que préjudiciables à long terme. Si vous pensez que des personnes doivent être mises au courant mais sont très fragiles, il serait sûrement plus adéquat de ne pas les rencontrer seules, mais elles doivent être rencontrées.

Dans tous les cas, votre famille risque d'avoir besoin d'une certaine aide professionnelle. Vous aussi d'ailleurs. Cherchez donc dans votre milieu un professionnel (psychologue, spécialiste du travail social, médecin, votre thérapeute?) qui est spécialisé dans le suivi post-traumatique. C'est ce type d'aide dont vous avez besoin actuellement. Il existe sans doute des organismes chez-vous dont l'objectif est de prévenir le suicide. Ils pourront probablement vous indiquer les meilleures ressources dans ce domaine. À défaut d'en trouver, vous pourriez demander aux policiers qui vous ont aidé à entrer chez votre frère de vous indiquer qui sont les professionnels qui aident les victimes de catastrophes habituellement. C'est de ce genre de personne dont vous avez besoin pour l'instant. Il est possible que certains vous disent qu'il est trop tard pour les interventions post-traumatiques précoces. C'est exact. Certaines interventions doivent se faire dans les 72 heures (maximum une semaine) après l'événement. Cependant, un suivi avec quelqu'un de spécialisé dans le domaine pourra tout de même vous aider grandement à cerner vos besoins et à y répondre. Il assurera un suivi adéquat pour permettre que le processus de deuil se fasse au mieux. Vous me décrivez une famille fragilisée, une famille où les intentions suicidaires risquent d'apparaître rapidement. Il vaut mieux alors être suivi.

DEUXIÈME PARTIE : LES RÉACTIONS À UN DEUIL PAR SUICIDE.

Je vais tenter ici de vous décrire, Chantal, ce qui risque de se produire au cours des prochains mois. Ce sont là des réactions normales et il ne faut pas s'étonner qu'elles se produisent, pas plus qu'il ne faille s'inquiéter si elles ne se produisent pas. Ce sont des possibilités.

D'autre part, ces phases ne sont pas à prendre comme une chronologie stricte. Vos réactions risquent plutôt d'être comme en dent de scie. À un moment vous êtes dans un état, à un autre moment c'est autre chose. Tout cela est normal.

La première phase est celle dite du « choc et de l'engourdissement ».

Durant les premières semaines, vous risquez de refuser d'admettre la réalité de la mort par suicide de votre frère. Cela sera comme irréaliste. Vous chercherez ainsi à vous protéger de la douleur trop vive. Certains qui réagissent très fortement pourront avoir des attaques de panique (voir la section diagnostique de ce site). Certains pourront aussi expérimenter un engourdissement émotif (pas de réaction) et une alternance entre des réactions et pas de réactions. En fait, toutes les réactions sont possible. C'est une phase caractérisée par le déni.

Du point de vue émotif, le chagrin et la colère peuvent alterner. Lorsque la colère sera la plus forte, elle pourra se tourner vers toute personne ou instance que vous pourriez tenir comme responsable du suicide de votre frère. Il arrivera peut-être parfois que votre colère se tournera contre vous et vous vous sentirez très coupable de ce qui vient de se passer.

La deuxième phase est celle de « protestation ».

Lors de cette phase, il se peut que vous ayez des souvenirs très envahissants de votre frère et que vous ayez même parfois l'impression (par exemple en passant devant son appartement) que vous allez le rencontrer. Vous lui parlerez peut-être, vous lui demanderez de vous aider, de communiquer avec vous. Vous pourrez avoir l'impression de sentir que votre frère est près de vous, vous le sentirez près de vous.

Comme vous l'avez trouvé et que vous l'avez vu pendu, il est fort possible que certains cauchemars viennent troubler votre sommeil. Il est aussi possible que cette « image choc » vous hante pendant quelques semaines, même à l'état de veille. Cela aussi est normal et va s'atténuer graduellement.

Il sera tentant ensuite d'idéaliser sa mort, d'en faire une sorte de geste héroïque devant la souffrance. Le contraire est aussi possible et votre frère vous apparaîtra alors comme un lâche qui n'a pas su combattre. L'histoire de famille que vous me décrivez Chantal m'incite à penser que vous pencherez plutôt vers l'idéalisation. C'est ici plus qu'ailleurs que peut se développer l'idée d'aller le retrouver. C'est durant ce stade que les endeuillés risquent de développer le plus d'idées suicidaires. Il faudra alors faire très attention à vous et avoir de l'aide régulière pour passer au travers de cette période.

C'est aussi ici que risque de commencer la recherche des raisons pour lesquelles votre frère s'est suicidé. Dans cette recherche, il n'est pas rare de voir de la colère se développer contre ce que l'on identifie comme les causes de son suicide : le gouvernement, certains amis, l'alcool, la famille, tel cousin, soi-même etc. Cette recherche du « pourquoi » va se prolonger tout au long des autres phases. Elle va engendrer des sentiments divers : impuissance à trouver une réponse complète, sentiment d'échec et d'incompétence, colère, regrets de ne pas avoir eu le temps de lui dire tout ce qu'on aurait voulu, honte et culpabilité

En même temps, certains symptômes dépressifs pourront apparaître : migraines, trouble du sommeil, diminution de l'appétit, irritabilité, problèmes de concentration, perte d'intérêt etc. Il faut ici être alerte. Les gens plus fragiles peuvent avoir besoin de beaucoup de soutien et possiblement d'une médication pour les aider à surmonter cette étape.

La troisième phase est celle de la désorganisation.

La phase de désorganisation est une sorte de période de crise où vous pourrez vivre des questionnements existentiels, du désespoir, une remise en question de vous-mêmes et de la vie en général. La culpabilité peut devenir parfois très lourde, votre estime de vous-mêmes peut être touchée. Cette étape permet d'intégrer le fait qu'il n'est plus là et de dépasser l'idée irrationnelle que si ça lui est arrivé, ça va forcément arriver aux autres dans la famille. Elle permet également de remettre en question vos valeurs personnelles, vos raisons de vivre.

En même temps, certaines idées relevant de la pensée magique (ça n'arrive pas chez soi) vont s'effondrer. Vous prendrez conscience (je pense que c'est déjà fait) de votre propre vulnérabilité, de votre propre fragilité. Ici aussi l'envie de « faire comme lui » risque de devenir très présente.

Ici aussi il est possible que du soutien et une aide thérapeutique soient requis afin de passer au mieux cette étape.

La quatrième phase : la réorganisation.

Durant cette phase, vous vivrez une sorte de redéfinition de qui vous êtes et finirez d'apprendre à vivre sans votre frère. Durant cette phase, on remarque en général une reprise d'intérêt pour le monde extérieur, les gens peuvent réinvestir dans les relations, se recentrent sur le présent. La douleur est moins intense même si elle réapparaît à certaines dates significatives (premier été sans lui, premier Noël sans lui, son anniversaire, la date du suicide etc.).

TROISIÈME PARTIE : PISTES POUR PRENDRE SOIN DE VOUS.

Toutes les étapes que je viens de vous décrire, Chantal, ne sont que des indicateurs pour que vous ne vous étonniez pas de ce qui va se passer au cours des prochaines semaines. Il n'est pas certain que vous viviez tout cela et pas non plus dans cet ordre. Je suis d'ailleurs convaincu que vous pourriez cocher dès maintenant beaucoup d'éléments qui sont déjà présents dans votre propre expérience. Constatez simplement que c'est normal. Ce n'est pas très consolant, ça n'enlève pas la douleur, mais cela aide à ne pas se trouver pire que d'autres. Il est normal de vivre tout ça. Vous n'êtes pas « plus malade » que d'autres en vivant ces expériences.

Par contre, vous savez que le sort s'est comme acharné sur vous et vous savez que vous êtes fragile. Vous vous demandez si vous et toute votre famille allez passer par là, étant donné que votre frère n'a pas su résister. Vous vous demandez s'il existe des moyens d'être encore plus forte ou si la fin de l'histoire est déjà écrite, au fond.

Chère Chantal, non, la fin de l'histoire n'est pas écrite. Certes, vous avez un désavantage par rapport à d'autres. Votre fragilité est un facteur de risque important. Mais vous avez un énorme avantage également : vous le savez. Et c'est cette connaissance qui vous sera la plus utile en ce moment.

Vous savez que vous et votre famille risquez de devenir un peu plus suicidaire au cours du deuil de votre frère. Vous savez que certains auront envie d'idéaliser son geste. Vous savez qu'une fois qu'un membre d'une famille est passé par là, c'est comme si une sorte d'interdit inconscient était moins présent en soi. Vous sentez votre fragilité et la sentez tellement bien qu'elle devient presque palpable lorsqu'on lit votre message.

C'est pourquoi vous prendrez soin de vous et inciterez les autres à faire de même.

C'est pourquoi vous ne serez pas dupe des envies de lâcher qui risquent de survenir dans les prochaines semaines. Vous ne serez pas dupe parce que vous saurez qu'il s'agit là de réactions de crise et non de décisions rationnelles. Et en temps de crise, ce n'est jamais le temps de prendre des décisions : elles doivent être remises à plus tard, lorsque la crise se sera estompée.

Vous avez été témoin d'une des pires choses qu'il puisse être donné de voir à un être humain. Vous avez vu votre frère pendu.

Vous aurez besoin d'en parler, de raconter, de dire, de parler, parler et encore parler. Donnez-vous des gens qui vous écoutent sans vous juger, qui peuvent entendre dix fois la même histoire, qui peuvent vous recevoir comme vous êtes.

Donnez-vous un suivi de crise avec quelqu'un de compétent pour cela. Quelqu'un qui pourra vous recevoir dans vos phases de deuil et saura reconnaître les étapes que vous franchirez.

Vous serez tentée de vouloir aider tout le monde autour de vous. Vous aurez aussi besoin de mettre des limites pour ne pas sombrer vous-mêmes. Soyez attentive à ces limites, incitez les gens à se donner du soutien en dehors de vous, comme vous-mêmes vous le ferez. C'est en vous voyant aller chercher de l'aide et mettre vos limites avec eux qu'ils apprendront à faire de même pour eux.

Donnez-vous aussi de continuer cette thérapie que vous avez entreprise depuis deux ans et demi. (Si votre thérapeute est à l'aise dans le suivi de crise, cela serait encore mieux.) Sinon, il pourra sans doute vous conseiller quelqu'un.

Enfin, donnez-vous du temps.

Accueillez les émotions qui viendront, patiemment, en vous contentant de les vivre sans les anticiper ou les exagérer, une peu comme en constatant qu'elles sont là sans les juger. Donnez-vous le temps nécessaire de replacer tout cela. On ne peut bousculer un deuil. Il faut prendre le temps de le faire.

Au début de votre message, vous dites que la vie ne veut pas de vous. Permettez-moi, Chantal, de reprendre cela avec vous. Il est vrai que le sort s'est acharné sur vous et les vôtres. Il est vrai que vous en êtes venue à la conclusion que la vie ne voulait pas de vous. Pourtant, Chantal, ce n'est pas contre la vie que vous vous battez mais contre la mort. Cette vie, dont vous dites qu'elle ne veut pas de vous est justement celle qui coule dans vos veines et qui vous incite à continuer à vous battre, à continuer de vivre. Cette vie qui est dans vos veines vous crie qu'il y a mieux, qu'il y a plus beau et que vous ne devez pas baisser les bras.

C'est cette vie en vous qui vous a conduite en thérapie et qui vous a fait écrire ce message. C'est cette vie qui, en dépit de ce que vous êtes arrivée à croire, continue à vous dire que vous avez droit à mieux, à plus, à plus beau. Et c'est aussi cette vie qui, du fond de votre être, vous murmure toujours que vous y arriverez. N'écoutez pas les paroles de mort qui vont vous venir au cours des prochaines semaines et qui tenteront de vous séduire en vous faisant croire que vous n'y arriverez pas ou que vous n'avez pas droit au bonheur. N'écoutez que le doux murmure de la vie qui, en vous, mais de très loin en vous pour l'instant, continue de vous dire : la vie t'aime Chantal, fais-la surgir de toi, fais-lui une place pour qu'elle t'envahisse

Et dans les plus durs moments, les moments où tout semblera très noir, fermez les yeux, entrez en vous, faites le vide en vous-mêmes, et prenez le temps d'entendre ce murmure qui, je vous l'assure, restera toujours présent au fond de votre être.

Courage, Chantal.

Donnez-vous le droit de continuer et d'y arriver.

Jean Rochette, Psychologue