Réponse à: LOULOU (angoisse de séparation de sa fille adoptée)

Surnom: LOULOU
Pays: Québec
Âge: 42
Sexe: féminin

Bonjour,

Ma fille de 7ans, originaire de la Répulique pop. de Chine, a souffert d'angoisse de la séparation de façon très marquée 6mois après son arrivée (elle avait 6 mois) et a refusé de me perdre de vue (changer de pièce etc) jusqu'à la rentrée scol. Il y a eu un bon dosage entre la sécurisation et le détachement elle est allée à la garderie, a pleuré beaucoup mais s'est adaptée, a une autre soeur (mêmes origines) de 5 ans avec qui elle s'entend bien. Elle acceptait de s'éloigner de moi, mais je ne devais en aucun temps m'éloigner d'elle. Depuis 2 ans, ça va bien, elle est heureuse et spontanée et a des amis. Par contre, elle commence à s'inquiéter du fait que sa mère biologique pourrait la reprendre. Elle pose des questions légales comme : si le juge lui dit que c'est elle ma mère parce que j'ai été dans son ventre, qu'est-ce qui va m'arriver. Je voudrais lui donner les bonnes réponses, pas pour "me" rassurer, mais pour la rassurer "elle". Je lui demande son avis, ce qu'elle en pense, ce qu'elle aimerait qui arrive, elle semble rassurée sur le coup mais revient souvent avec cette hyppothèse. Que lui dire ou que faire?

Merci.

Bonjour Loulou,

Votre petite fille a souffert d'angoisse de la séparation de façon marquée à l'âge d'un an jusqu'à la rentrée scolaire, en passant par la garderie où elle a pleuré beaucoup mais s'est adaptée, dites-vous.

Vous dites aussi qu'elle a une petite s ur avec qui elle s'entend bien et en sa présence, elle pouvait s'éloigner de vous mais pas vous d'elle. Depuis qu'elle fréquente l'école, ca va bien, elle est heureuse et spontanée, elle s'est fait des amis. Bravo ! Votre petite fille semble heureuse lorsqu'elle se sent en liens, lorsqu'elle se sent rejointe affectivement, cela la rassure.

Dernièrement, elle a recommencé à ressentir et à vivre des sentiments d'insécurité puisque, dans son imaginaire d'enfant, la mère biologique pourrait la reprendre. Le juge va le dire, j'ai été dans son ventre, vous dit-elle. Où a t'elle appris ce langage, la notion de juge ? À 7 ans, un enfant connaît la notion de justice, il la réclame, c'est même une valeur pour lui. De là à comprendre tous ces mécanismes, les fonctions... de la justice, c'est beaucoup demander, me semble t-il, à votre petite fille. Si je me mettais à la place de votre petite fille, je ne me sentirais pas rassurée non plus. Quelles images suscitent en vous le mot juge, Loulou ?

Dire à votre petite fille qu'elle est adoptée et répondre à ses questions, oui bien sûr. Êtes-vous allée au-delà de ses demandes à elle, avez-vous donné "plus" qu'elle le demandait, mettez-vous trop l'accent sur l'importance de l'adoption plutôt que sur la relation, que sur le développement de sentiments d'appartenance (processus imaginaire qui fait entrer l'enfant dans sa famille et qui le situe dans une filiation et une affiliation). Vous présentez votre enfant : " ma fille originaire de la République pop de Chine... et de sa petite s ur, vous dites (mêmes origines). D'ailleurs, des parents nous disent parfois, il faut que je vous dise que mon enfant ou adolescent/e est adopté/e.

Être adopté ce n'est pas la première identité. Il me semble important de ne pas construire l'histoire de l'enfant autour de l'adoption, de son pays, etc, mais de lui donner sa place de vrai enfant dans la famille. De plus est, cette attitude pourrait laisser entendre, à l'enfant, une sorte particulière de liens qui ferait qu'il se sentirait "comme un visiteur", alors qu'il s'agit d'un enfant comme un autre.

Votre petite fille a besoin de se sentir en lien, un lien par lequel elle se sentira protégée, quoiqu'il arrive, elle se sentira en sécurité, rassurée.

Elle a aussi besoin de se situer par rapport à vous, ses parents puis ses grands-parents. C'est à vous de construire ce lien avec elle, Loulou, soutenue par son père.

J'ai le sentiment que vous avez besoin, vous aussi, d'être rassurée dans les soins de sécurité à apporter à votre petite fille, que, peut-être, vous désirez être une mère parfaite ou presque, que vous me semblez exigeante envers vous-même et envers votre petite fille, sans doute à votre insu, et ce, même si vous dites... " pas pour "me" rassurer, mais pour "la" rassurer elle, je voudrais lui donner les bonnes réponses".

Loulou, il se peut, par exemple, que comme parent vous ayez des questionnements, des craintes qui peuvent être parfois difficiles à surmonter si vous n'êtes pas au clair avec vos propres attentes, vos motivations, - craintes de pas être des parents parfaits, penser que vous n'avez pas le droit à l'erreur, ce qui occasionne des stress et des sentiments d'insécurité. La sécurité de votre petite fille passe par votre propre sécurité.

Quelles sont vos attentes envers votre fille? Regardez si vous élaborez des projets pour elle et lesquels?

Si les comportements de l'enfant ne correspondent pas à vos attentes, vous vous sentirez comment et votre petite fille se sentira comment ? Dans ces situations, l'aspect héréditaire n'est pas mis au premier plan.

Vos préoccupations sont celles de la majorité des parents. Si l'enfant a besoin d'être rassuré et que les parents craignent de ne pas être à la hauteur, ils risquent de donner des points de repères pas très solides à l'enfant. Ils peuvent se montrer hypersensibles ou se comporter avec un certain laxisme à l'égard de l'enfant, par exemple. Ce qui contribue à renforcer le sentiment de non-apparternance.

Vous dites lui demander son avis, ce qu'elle pense, ce qu'elle aimerait qui arrive, mais... Vous demandez à votre petite fille de faire votre travail, i.e., vous rassurer (dire son avis, ce qu'elle pense, elle ne le peut pas) pour qu'ensuite vous puissiez la rassurer, elle. C'est un piège pour votre petite fille.

Elle ne peut pas, à la fois, s'occuper de vous et d'elle, raisonner comme un adulte et vivre avec ce sentiment d'insécurité, sa peur d'abandon, de coupure. Il me semble que c'est trop lui demander, trop exigeant. C'est lui parler dans un langage d'adulte s'adressant au c ur de l'enfant.

Vous dites aussi : "elle se trouve rassurée sur le coup", mais... Oui, elle est rassurée seulement à court terme, justement parce que c'est là que sa souffrance se vit, parce que sa souffrance ne lui semble pas vue, entendue. Votre petite fille doit bien ressentir qu'un juge c'est quelqu'un de fort, quelqu'un qui n'a pas de lien affectueux, quelqu'un qui, lorsqu'il parle, ca coupe et personne n'y peut rien... Oui, certainement, "Qu'est ce qui va m'arriver, maman ?"

Loulou, parlez-vous de vous, à votre petite fille, de votre passé, de vos parents à vous ? Ces événements la concernent. Lui parlez-vous de votre première rencontre avec elle, comment elle vous a touchée lorsque vous l'avez prise dans vos bras et l'avez serrée près de votre c ur, comment vous vous êtes attachée à elle. Lui parlez-vous de ses réactions: son sourire, ses mouvements de contentements, sa vitalité. Racontez lui son histoire: ses premiers sourires, ses premiers mots, ses premiers pas, etc. Parlez-lui de vos joies, pas avec votre tête mais avec votre c ur s'adressant au c ur de votre petite fille.

Parlez-lui de ses animaux préférés, racontez une histoire où on les retrouve puis laissez la continuer l'histoire que vous avez commencée, écoutez la, entrez dans son monde, dans son imaginaire, racontez vous mutuellement des histoires, des contes de fées personnalisés, par exemple. Laissez tomber la raison de l'adulte, laissez aller votre c ur. Vous y trouverez plaisir et assurance, vous aussi.

Construisez des marionnettes avec elle et sa petite s ur sans les presser, ensemble vous leur donnez chacune un nom. Faites une petite séance de théâtre improvisée, laissez la s'exprimer, tout en jouant, écoutez la, suivez les toutes les deux, laissez ranger et ressortir les marionnettes où et quand elles le désirent. Si elle aime les étoiles, faites un voyage spatial avec elle, faites lui raconter le voyage; ce qu'elle aime, ce qui est agréable durant ce voyage...

Félicitez les.

Vous créerez des liens rassurants où l'affection s'exprimera d'une autre façon.

Bonne chance Loulou !

Monique Richard, Psychologue