Ce matin là, j’avais rendez-vous avec ma note d’examen scolaire, elle devait être bonne et j’étais fière, j’avais hâte de savoir. J’avais aussi rendez-vous avec une lettre qui me permettrait l’acquisition d’un ordi-portatif, sans frais. Cet outil m’aurait permis de poursuivre mes études et par dessus tout mes écrits où que je sois de par le monde, que ce soit chez moi, à l’hôpital, en vacances, ou à l’autre bout du monde.

En dehors de ça, ça faisait un petit moment que j’étais à la recherche du morceau manquant, celui-là même qui me permettra de trouver la paix intérieure tant recherchée. C’est un travail extrêmement méticuleux, voire même périlleux, et j’en ai tout à fait conscience. Comme il est de l’autre côté, dans la distorsion, j’ai besoin d’y aller pour le ramener avec moi, le trier, le rassembler, le comprendre, et le mettre hors de moi, loin de moi, pour toujours.

Il y a quelques jours je plongeais, consciemment et en contrôle, plusieurs minutes par jour, seule, de l’autre côté. J’ai vu des indices, des images, des sensations, des réactions qui font partie de ce morceau que je cherche. C’est inscrit quelque part dans mes mémoires corporelles, expérientielles, réactionnelles, tactiles, auditives, visuelles. Je savais revenir à moi.



Puis une amie, probablement par crainte que je demeure coincée dans un monde virtuel, déréel, est venue jouer dans ma tête, pour me pousser vers mon réel, vers mes proches. Elle est venue jouer dans les failles et blessures, celles-là même que j’explorais déjà avec mes aides réelles et ce fut la cassure. Tout l’ordre de l’univers s’est renversé en un seul instant. C’était devenu du trop, du trop grand, du trop fort. J’ai dû quitter mon plaisir et mes amis du bout du monde. C’est ce que cette amie souhaitait pour moi, moi pas, en tout les cas pas de cette manière là..



Je me suis réfugié dans la petite école. Mon esprit était complètement désorganisé, pour me protéger de moi-même, mon amie-psy a envoyé des renforts. Elle a fait des pieds et des mains et je sais qu’elle l’a fait pour moi, pour mon bien. Les renforts ont eux aussi joué dans ma tête. J’ignore qui ils sont, si ce sont des personnes que je connais ou que je ne connais pas. Je ne peux raconter cette expérience, car si elle décide de tout nier, c’est moi qui passerai pour folle. Et je ne le suis pas, de cela, j’en suis convaincue.



J’ai craqué devant tous ces gens que j’ai parfois cotoyé, avec qui j’ai parfois partagé, que j’ai un petit peu encouragés. Je ne retournerai plus vraiment là-bas. C’est aussi ce que mon amie souhaitait. Une personne, une connaissance, m’a aidé, sans violence, à sortir de cette torpeur, en collaboration avec mon amoureux.



Mon amoureux m’a amené à l’hôpital, il y avait trop de monde, beaucoup trop de monde, je suis partie avant même d’y entrer. J’ai été à la clinique voir mon médecin, il n’y était pas. À l’intérieur de moi, je me suis mise à tourner comme une toupie, une toupie bleue. Je ne tenais plus.



J’ai erré dans un non-temps, dans un non-lieu qui fut surement de quelques heures. Je n’étais plus. J’étais une toupie bleue qui tournait pour m’étourdir, pour me parer de la flamboyante douleur de l’âme.



Puis j’ai fait la dernière chose que je pouvais faire. J’ai pris mes valises, il était tard, il faisait noir, j’ai embrassé mon amoureux, ma fille était déjà loin de moi avec mon ourson. Je suis partie, seule. J’ai mis le pilote automatique pour me rendre à Montréal.



Une heure plus tard je me tenais devant un écritau lumineux intitulé : « urgence psychiatrique ». Une ambulance vide devant. L’envie de fuir, pour de bon, pour toujours, la peur au ventre je luttai, j’y suis entrée, seule, sans même mon sac à dos, je n’avais pas le choix.



Un gardien derrière la vitre, une brosse tournante pour nettoyer la neige, le sable, le sel sous les semelles des bottes et chaussures. Le gardien sors de sa boîte, je désire me reposer la tête, dans un lieu sécuritaire. Il me passe le détecteur de métal. C’est comme à l’aéroport, c’est un autre type de voyage. À l’intérieur je ris, je pleure, je le garde pour moi.



Il apelle les dames, elles ouvrent la porte, celle qui est fermée à clef. Elle ont l’air épuisées dans l’entrebaillure de la porte, on me questionne. Puis on me fait entrer. Ce n’est pas mon endroit, c’est trop loin de chez moi, mais on me laisse y dormir pour la nuit.



La porte se ferme derrière moi. Ce que j’ai de plus précieux en ce monde est au dehors : mes rêves, mes projets, mon amoureux, ma fille, mes amis, mon monde, ma joie… je suis seule, j’ai froid. Je refuse la jaquette bleue de l’hôpital qui me dépossèderait des seules parcelles de mon identité qui me reste encore : mes vêtements, mes bijoux.



On m’offre le dernier lit qui reste, le lit no.5. près de la fenêtre, là où le rideau est entrouvert. J’enlève mes chaussures, je m’étends. Je serre dans mes bras mon manteau, et je pleure, en silence, dans le noir. J’écoute les bruits, les gens qui tournent et se retournent dans leur lits, j’entends les infirmières qui parlent, qui rient.



Je me relève, je demande un cachet pour me détendre. On veut m’en donner un qui assome, je refuse, je veux mon petit cachet, celui tout doux qui me permet de relaxer. On me donne mon petit cachet tout doux, la petite dose, celle qui me convient à moi.



Je retourne m’étendre et au bout d’un moment je m’endors. Je m’éveille et m’endors ainsi toute la nuit, je rêve et j’entends, j’entends la femme qui grinche des dents, je regarde la dame qui sans froid dort à moitié dévêtue. Moi je suis glacée, sous mes couvertures, sous mes vêtements, sous ma veste, sous mon manteau et mes deux paires de bas.



Le matin je pleure encore en silence, j’attends. On prends les signes vitaux, je suis encore en vie. La dame aux dents qui grinchent me dit qu’elle n’a plus de dents, c’est les nerfs me dit-elle. Je fais un brin de toilette, je reviens dans la chambre, la dame sans froid se lève sur son séant, me regarde béatement comme une enfant et me demande : « C’est l’heure de m’habiller? », elle doit avoir 50 ans, j’en ai trente. Je ne sais pas madame, je ne sais pas si c’est l’heure de vous habiller.



Je vais déjeuner, enfin avaler sans appétit deux trois bouchées d’une tartine sèche, boire deux trois gorgées d’un jus de pommes froid. J’écoute l’autre dame, celle maquillée et coiffée, qui parle de son lithium. Elle se plaint de la cafétériat, et des soins qui ne sont pas humains, elle se plaint de tout et de rien. Je regarde le préposé aux déjeuners, il me sourit résigné, l’air d’en avoir déjà entendu d’autres. C’est le seul qui me semble un tant soit peu humain en ce lieu.



Je retourne sur le lit no.5. Je me sens comme un animal en cage, mais résigné, docile. Il n’y a rien à faire ici. Je me lève, je lis tout les écritaux dans les corridors, je regarde en détail toutes les illustrations, je ne veux parler à personne. J’attends, j’attends de voir le médecin.



N’en pouvant plus de tourner en rond, j’approche une infirmière et lui demande d’ouvrir la porte pour aller chercher ma tablette à dessin dans ma voiture. Je reviens, je m’installe de nouveau sur le lit no.5, je dessine ce que je vois derrière la fenêtre ; des derrières de batiments, des fenêtres closes, pas de portes.



On vient me chercher, je n’ai pas terminé mon dessin. Je ne sais pas pourquoi, les psychiatres ont tous la même tête, des têtes de crapauds. Il me propose toutes sortes de choses, puis on se décide pour mon petit cachet, celui tout doux qui me permet de relaxer, celui qui me convient à moi, de le prendre régulièrement et un peu plus souvent.



Je met ma prescription en poche, prends mon manteau, et je sors par la porte, par celle la même par laquelle je suis entrée. Je n’ai pas terminé mon dessin, je ne le terminerai jamais, il y avait des barreaux à la fenêtre au dessus du lit no.5, je ne les ais pas dessinés, je ne les dessinerai jamais.



Je ne saurai jamais ma note d’examen scolaire. Je n’aurai pas mon appareil pour poursuivre mes écrits où que je sois, en tout cas pas pour l’instant. Je prends une bifurcation, une autre route, qui je l’espère me mènera aussi à mon chemin de vie.



Je ne suis pas folle, mais seulement un peu plus isolée. Je cherche toujours le morceau manquant, celui qui puisse me permettre de terminer mon premier projet d’écriture, de démarrer mon projet de vie, d’être femme, d’être humaine parmis les humains, d’être moi, entière. Pour le moment, je ne souhaite plus partager.



J’essaie de récupérer ma santé, mes projets, ma vie de famille, amoureuse, personnelle, mes relations amicales, mon plaisir, ma joie, mes rêves…



L’endroit où j’ai été est un mouroir pour les âmes. Je ne retournerai jamais sur le lit no.5.