Mon passé n’est qu’un puzzle dont je ne parviens pas à rassembler les morceaux. Des bribes refont surface assez fréquemment dans la nuit, sous forme de cauchemars ou dans des endroits et situations où monte l’angoisse en pleine journée.

Dans ces moments là, mon esprit quitte mon corps et, au-dessus de moi-même, j’assiste, impuissante à ces scènes d’horreur.

Depuis le début de mon analyse, je les couche sur papier et aujourd’hui, je crois qu’il est temps pour moi de reconstituer en parti ce qui cause ma souffrance depuis toutes ces années.

Mon premier souvenir remonte à ma petite enfance. Une école maternelle parmi tant d’autres, une petite fille apeurée dans un dortoir sombre, qui ne trouve pas le sommeil et cherche du réconfort auprès du personnel de service.
La directrice me serre le poignet et m’entraîne dans des escaliers. D’une main, elle me secoue, de l’autre, elle tire par le collier son chien. Un énorme berger allemand paralysé du train arrière.
Nous sommes dans une pièce, elle me fait mettre à genoux et me jette un drap noir sur la tête. J’entends, mais ne voie rien. Je pleur, j’ai peur.
Elle dit qu’elle me dressera, m’apprendra à être plus docile, elle me bat et je sens le souffle chaud du chien tout contre mon visage.


Les années ont passé et comme toutes les petites filles, j’ai « supporté » la curiosité des petits garçons soulevant les jupes des filles. Les autres optaient pour le pantalon, ce qui, ne convenant pas à mes parents, a fait de moi l’une des rares petite fille toujours de robes vêtues………………….Une cible toute désignée pour moqueries et taquineries de récréations.


Entrée en sixième.
En décalage avec les autres élèves. Elles sont modernes et se préoccupent de mode et de copains, j’ai toujours ma jupe rose à volant et mes chaussettes à mi-mollet. Je suis toujours la première en classe ce qui n’est pas favorable à la remontée de ma cote de popularité.
C’est là que tout va commencer.
Dans ce collège, ce sont crées des classes d’adaptation pour les jeunes en difficultés scolaire, souvent violents et beaucoup plus âgés.
Nous sommes dans une ville nouvelle et le collège est entouré par un terrain en friche et désert. Il faut le longer pour se rendre au gymnase.
Sylvie, le 11/08/2003
Ce cour de sport est le dernier de la journée et, comme souvent, je sorts seule dans les dernières. Bien sûr, l’endroit n’est pas plus fréquenté que les autres jours……..Près de là, un saule pleureur.
Ils m’attendent……………. m’interpellent…….. M’arrachent mon sac et me plaquent contre le tronc de cet arbre. Même si quelqu’un passe par-là, nous sommes invisibles aux regards.
Ils sont plusieurs (combien ?….Impossible de me souvenir)
Tour à tour et parfois ensemble, leurs mains me touchent………le visage, se glissent sous mes vêtements, dans ma culotte, ils me font mal.
Une des mains devant ma bouche bloque pour partie ma respiration, je ne peux pas crier. Le ferais-je vraiment ?
La peur, la honte me paralysent de toute façon.
Combien de temps écoulé ? Impossible à dire. J’entends leurs menaces…….Je dois me taire…..Ils feront savoir quelle pute je suis.

Je rentre chez moi comme un zombie, mon tee-shirt arraché et taché de sperme. Pas le temps de dire quoi que ce soit parce que je rentre en retard : c’est l’engueulade, où ai-je traîné, avec qui ?
Dialogue impossible, je me tais.
Le collège est devenu mon enfer ; mon foyer un tribunal !
Dans le premier je dois fuir les toilettes, la cantine, ruser dans les couloirs, éviter les regards. Je suis perdue et toute seule.
Chez moi, quand mes parents sont là (rarement parce qu’ils travaillent et je reste donc isolée, enfermée à la maison), ils m’accusent sans cesse de fautes dont je ne suis pas responsable. Mes résultats scolaires ne sont plus au top niveau, ils sont en colère, ne veulent pas me voir « en pleine crise d’ado comme toutes ces écervelées qui peuplent le collège »……………NO COMMENT !
Il est vrai que mon comportement se dégrade, mon raisonnement se décale : comment LES éviter, ma principale préoccupation.
Il est impossible de fuir éternellement et pour eux, l’occasion se présente l’année suivante. Je vais dans la cave chercher mon vélo et de l’eau (mes parents stockent les boissons au frais du sous-sol). Je rencontre un garçon, je le connais bien, mes parents parlent souvent avec les siens. Son père, représentant en vins fourni très régulièrement mon père.
J’ai confiance et nous descendons dans le sous-sol de chez lui pour prendre ses affaires.
ILS sont là !

Dans le labyrinthe des caves, une est inoccupée. Ils se sont installés : matelas, revues pornos, un bric à brac d’objets récupérés ça et là.
Pour moi, plus aucune issue. Ils sont armés de couteaux à crans d’arrêt. Ils me font voir des images dans les livres pour que je sois « imaginative ». Des femmes habillées de latex, du sperme plein la bouche, un fouet à la main….
- « Ca t ‘excite, hein ? Dis-le ! »

Et puis, ils ont de la drogue, de l’alcool.
Ce liquide collant, l’odeur, la douleur………Passage à vide. Je ne sais pas ce qui s’est passé pendant tout ce temps qu’ils m’ont volé.

Ils ne sont plus là, je m’enfuis.

Je me lave, me relave….Passe de la javel sur moi, brosse mes dents jusqu’au sang. Qu’est ce que je vais faire ?
Le temps s’arrête, je ne suis plus. Mon corps est sale et j’ai honte. Tous ces lavages n’ont rien changé. Pourquoi moi ?
Je n’ai pas d’amie à qui me confier, mes parents n’entendent rien. Alors ?

Alors, dans la salle de bain, une lame de rasoir…..Je coupe, me cogne la tête dans les mûrs ………………Et avale de la Vodka.
Retour de ma mère et nouvelle engueulade :
-« Qu’est ce qui se passe ? »
-« J’ai été agressé et on m’a volé mon vélo ! »
Ma mère est enragée : au prix qu ‘elle payé ce vélo…………. !
Nous sommes à la gendarmerie. Moi dans le bureau, ma mère attend à l’extérieur. ILS sont fichés, je les montre du doigt. Je voudrais tout dire mais ils sont fichés pour vol et recèle, détention et usage de drogue. Le gendarme hurle ! J’ai de mauvaises fréquentations, pas étonnant qu’ILS m’aient battue et ce gendarme me dit :
- « Tu ne veux pas donner leurs adresses, ils n’ont pas cogné assez fort !! »

Je dois à ma mère de m’avoir fait sortir de ce bureau. Elle n’a pas signé le dépôt de plainte, arguant des aveux obtenus sous contrainte. Chacun à sa propre idée, personne ne m’écoute, c’est un dialogue de sourd.


Je saurai me protéger le reste de l’année sous un blouson de cuir noir clouté, provocante, violente….Passage en conseil de discipline….Mes parents me font redoubler dans une école privée. Redoublement injuste : j’ai la moyenne dans toutes les matières, mais il m’est imposé par cette nouvelle école en raison des annotations de mon dossier scolaire.
Après quelques mois difficiles,, je me fais des amies et retrouve goût à la vie dans cette école pour jeunes filles. ( école religieuse catholique)
Trois ans de vie, de sorties, d’amitié solide.

……………………………..

Je suis en seconde. Toujours la même école mixte pour le lycée, mais les garçons qui y sont admis sont respectueux et peu nombreux. Nous avons de bonnes relations amicales.
C’est la veille des vacances de Noël et nous faisons des truffes pour la classe le lendemain. Il est tard (20h) et la nuit est tombée quand nous terminons.
Je me fais raccompagner. Je suis restée craintive et mon angoisse reste très présente malgré les années écoulées.
Sylvie, 11/08/2003
Pascal rentre avec moi jusqu’au pied de l’immeuble. J’ai sonné à l’interphone, la voix rassurante de ma mère, on se dit « à demain ».
Quelqu’un rentre avec moi, monte dans l’ascenseur. Je suis souriante et polie, lui demande son étage. Il va au-dessus de chez moi, nous montons.
A mon étage, l’ascenseur stoppe et je ramasse mes affaires tout en le saluant. Mon regard s’arrête sur sa main. Il tient une arme à feu et m’ordonne de rester dans l’ascenseur.
Il nous fait monter un étage plus haut, sortir dans la cage d’escalier. Il parle d’une voix calme mais sèche. Je lui tourne le dos, je dois poser mes affaires. Je ne peux pas le voir mais tous mes sens sont décuplés par la peur. J’entends son souffle, je sens sont odeur, le contact de l’arme dans ma nuque est froid.
Si je ne fais pas ce qu’il me demande, il tire.
Tout tourne autour de moi, comment m’en sortir cette fois….Et puis………..Un aboiement qui résonne……….Je réalise le claquement sec de la porte dans mon dos, l’absence du froid dans mon cou.
Mon chien ………….Mon chien m’a senti et arrive vers moi tout joyeux. Je ramasse mes affaires, dévale les escaliers, referme la porte violemment derrière moi.
Je m’effondre, c’est la crise de nerf. J’ai le chien près de moi, assise par terre dans l’angle du salon, j’ai perdu l’usage de la parole.

Mes parents ont appelé la police. Ils sont arrivés 20mn après pour constater que je n’avais rien eu d’autre qu’une grosse frayeur (certes….)
- « Demain, ça te fera bien rigoler ! »


Quelle rigolade en vérité ? J’ai dû me rendre au lycée le lendemain « pas un drame » ! J’ai pleuré pendant plusieurs jours, peur qu’il ne revienne finir ce qu’il avait commencé.
Quelques jours plus tard, nous avons appris le viol d’une jeune fille deux hall d’entrés plus loin. Il n’était donc pas parti !

Je lui ai échappé, il a trouvé une autre victime. J’ai ressenti une telle culpabilité quand le regard de cette fille s’est arrêté sur moi. J’ai ressenti sa douleur.

……………………………….

Nous avons déménagé (pas bien loin) et j’ai changé d’établissement scolaire. Pour mes parents, personne ne devait savoir. J’ai enseveli mes peurs, mes peines, mes souvenirs au plus profond de moi-même.
J’ai vécu avec ma névrose, mes nombreuses phobies……..Mes peurs (psychose ?),je n’étais plus capable de ma les expliquer. J’ai survécu.
Solution ?
Quand on veut oublier, quand on a pas le droit de parler…………..Une fille étrange, inaccessible, focalisée sur sa carrière professionnelle…….

Mais ce jour de décembre 2001, toute la façade s’effondre : je viens d’apprendre que ma fille de quatre ans a été abusée……………………..
Sylvie, 11/08/2003