QUAND JE SERAI GRAND...


Quand je serai grand comme ma sœur Louise, j’irai aussi à la vraie école. A ça, j’y pensais depuis longtemps. Mais voilà, j’ai maintenant six ans et le jour de la rentrée des classes va arriver. Plus que deux nuits à dormir et maman me conduira à l’école pour la première fois. Ma mallette pleine de cahiers pour écrire des choses et pour faire de beaux dessins est prête.

Quand je serai grand, je serai receveur de tram, car ils ont plein d’argent dans leur petite sacoche et tous les voyageurs leur en donnent en échange d’un petit ticket en papier rose ou bleu, mais les bleus sont plus chers. Je serai vite riche et alors je m’achèterai une maison avec un beau jardin pour moi tout seul.

Quand je serai grand, j’aurais aussi une fiancée. Mais pas Patricia, elle veut sans cesse me parler et elle sait toujours tout mieux que moi. Pour l’anniversaire de mes huit ans, elle m’a fait un beau dessin, avec plein de petits cœurs. Mais elle avait écrit : « Bon anniversaire Jeannot »… Je n’aime pas qu’on m’appelle « Jeannot », je ne suis plus un petit garçon, quand même !

Quand je serai grand… Pourquoi les gens me demandent -ils continuellement ce que je ferai quand je serai grand ? Hier, on a fêté mes dix ans, et j’ai dit que je voulais devenir ministre . Parce qu’ils ont tous une grosse voiture et qu’ils parlent à la télévision et qu’on les écoutent, eux. Mais tout le monde s’est moqué de moi : Jeannot, ministre ?…

Quand je serai grand, quand j’aurais 16 ans, j’aurais une carte d’identité où sera marqué mon prénom : Jean. Alors, je ne laisserai plus personne m’appeler « Jeannot ».
Patricia, ma femme, m’a déjà appelé deux fois, elle est prête depuis un moment et m’attend pour sortir. Je termine vite cette histoire. Je l’entend qui trépigne d’impatience dans le hall. Elle, comme les autres, ne m’appelle plus « Jeannot », car il y a belle lurette que je suis un homme, un vrai. Cette pensée qui me traverse l’esprit est interrompue par un strident :
- Alors mon lapin, je t’attends !…
… Pffuuuit !



Auteur : © Pheliny, B-4900- Spa - juin 2005