J’ai vécu une vie relativement sans histoire jusqu’à l’âge de 15 ans. Dans ma jeunesse, j’ai toujours été un enfant enjoué et heureux. J’avais une grande confiance en moi. Jusqu’en secondaire 2, il n’y avait jamais eu une classe où je n’avais pas adressé au moins une fois la parole à tous mes camarades. J’ai quand même eu une certaine difficulté à m’intégrer au secondaire, à trouver ma gang, mais cela ne m’empêchait pas d’être une personne enjouée et communicative. Lorsque

j’ai trouvé ma gang de chums, ça l’a duré un certain temps et je pensais bien m’être fait de bon copains. Mais un beau jour, la tête forte de notre gang a trouvé que j’en avais mené trop large et m’a fait savoir que je n’étais plus le bienvenu; les autres l’ont suivi. C’était vers la fin de mon secondaire 2. À ce moment, mes parents m’ont offert d’aller dans un collège privé anglophone. J’ai accepté, ne me sentant plus d’attaches pour l’école dans laquelle j’étais. Cependant, avant de quitter l’école, à une remise des prix qui avait eu lieu devant tous mes camarades, j’ai été très surpris et touché de voir à quel point j’étais apprécié lorsque je fus chaudement applaudi à la suite d’un prix que je m’étais vu décerner. J’éprouve depuis longtemps le regret d’avoir quitté cet école. Je n’étais pas habitué aux encouragements. Je ne le suis toujours pas d’ailleurs.

La transition dans la nouvelle école anglophone n’a pas été très facile. Pour la première fois de ma vie, j’avais de la difficulté à établir le contact avec les gens autour de moi. La barrière linguistique n’aidait pas. À ce stade de ma vie, j’ai commencé à ressentir de l’anxiété et de la fatigue. Cela s’additionnait au fait que je me sentais un peu délaissé par ma famille. En fait, je n’ai jamais senti beaucoup d’attention de la part de ces gens-là, mais c’est seulement à partir de ce moment-là que j’en pris conscience. C’est dans ma nouvelle école anglophone que je vécus ma première attaque de panique. Un traumatisme foudroyant. À partir de ce moment, j’allais sombrer sur le chemin de la solitude. Je n’ai jamais osé en parler à qui que ce soit. Je n’avais aucun confident, aucun lien de confiance avec qui que ce soit, aucun modèle, aucun mentor. Est-ce normal, à 15 ans, d’être déjà si loin de sa famille, d’avoir si peu de ressources? J’étais le dernier d’une famille de 4 enfants. ( Mais à l’époque, mes parents n’étaient pas sûres de vouloir d’un quatrième enfant. Malgré le condom, j’ai su faire mon chemin. Avec les années, il semblerait que j’aie dû en payer le prix.) Il n’y avait jamais eu de problèmes dans ma famille, ou bien à tout le moins, on en parlait pas. Je n’allais pas être celui qui allait commencer. D’ailleurs, comment fait-on pour parler de ses problèmes? Comment avouer une vulnérabilité? Je crois que ça s’apprend, à travers l’Éducation, par opposition à la scolarisation. Quand on se sent blessé, on n’a pas le goût de se montrer ou de se vanter, on a juste le goût de se cacher pour souffrir en paix. Mais à cet époque, j’encaisse les attaques de panique et l’anxiété grandissante avec une résilience remarquable, pour mon plus grand malheur. Ç’aurait été tellement mieux d’être soigné à cet âge-là. Personne ne se doutera jamais de rien. Jamais. Je suis fier, orgueilleux et indépendant, comme mes parents. Mon père est médecin spécialiste. Je n’ai pas d’admiration pour eux, mais, inconsciemment, je les imite. Ils ne se sont jamais mêlé de mes affaires, alors je ne me mêlerai pas des leurs. Ils nous disaient souvent de nous mêler de nos affaires d’ailleurs. Après deux ans dans cet école anglophone, je fuis dans une école québecoise, différente de celle que j’avais connu préalablement, et je me demande encore pourquoi. Je croyais pouvoir laisser mes tourments et mes problèmes derrière moi.

À cet âge, 15-16 ans, où la moyenne de mes semblables en étaient à leure première expérience avec les filles, moi, j’étais déjà complètement névrosé, mais n’en étais pas conscient. Il y avait des tourments dans ma tête, de la confusion, mais curieusement, je ne semblais pas y prendre garde ou en être pleinement conscient. Je commençais à être très introverti.

Malgré tout, j’ai réussi à passer à travers les maillons du système et à faire mon chemin, en passant par le Collège Jean-de-Brébeuf et l’université de Sherbrooke, avec de bonnes notes. Mon développement social s’était néanmoins figé à 15 ans, puis a même régressé. Avec les années, mes aptitudes sociales ne se sont que détérioré. Mon besoin de communiquer ma douleur, de chercher de l’aide, ma peur de cette solitude qui m’a complètement conquise, n’ont fait qu’augmenter, sans aboutissements.

À 22 ans, après m’être enivré plusieurs fois au cours des repas précédents, dans l’espoir d’avoir le courage d’en parler à mes parents, j’en finis par seulement laisser une facture de paxil sur la table, la nuit venue, et voir ce qu’il adviendrait le lendemain. Mes parents m’ont tout simplement dit, sur un ton ni chaud ni froid, légèrement compatissant, que si je ne voulais pas qu’ils sachent que je prenais des anti-dépresseurs, de ne pas envoyer les factures à la compagnie d’assurance, car la compagnie d’assurance leur envoyait un rapport des réclamations régulièrement. Devant tant d’intérêt et de curiosité, je n’ai pas insisté.

À la fin de mon université, je me suis trouvé une job, puis j’ai quitté cette famille (ce n’étais de toutes évidences pas la mienne) pour de bon. Je leur ai quand même expliquer, assez violemment, ma façon de penser. Alors ‘mes’ parents m’ont fait séjourner sur un avis de la cour dans une aile psychiatrique pendant 4 jours. Ça m’a coûté 1500$ d’avocat pour pouvoir sortir de là. Si je n’avais pas fait appel à un avocat, je n’aurais pas eu droit à l’examen psychiatrique auquel tous les nouveaux patients ont droit dans un délais de 48 heures après leur internement. Le psychiatre a bien vu que je n’étais pas dangeureux et j’ai été relâché.

Depuis que j’ai 15 ans que je suis malheureux et que je ne sais pas à qui m’addresser pour avoir du support. J'ai maintenant 27 ans et ma vie n'a aucun sens. Je ne sais plus comment me ré-intégrer dans une communauté. J’ai peur de socialiser, car j’ai peur d’être remis en question, qu’on me demande des comptes, d’être une fois de plus rejeté, même si je suis parfaitement conscient que je n’ai pas à tous dire ou tout expliquer. Je me sens excessivement seul et vulnérable. Je me sens glissé, coulé, inlassablement, vers un abîme dont je ne sais comment me sortir. Ce n’est pas de la pitié que je cherche, seulement un peu de sympathie, une poignée de gens décrissés de la vie qui ont refusé de baisser les bras pour aller prendre une bière sur une terasse, pour se faire une bonne bouffe à la ‘Déclin de l’empire américain’, mais des gens qui auraient plus de chances de comprendre mes états d’âmes que certains autres, plus chanceux, qui ont été Éduqué et aimé de leur communauté. Je refuse de m’apitoyer sur mon sort, mais j’ai besoin du soutient d’une communauté pour que mon âme retrouve un certain équilibre.