"Quel est le rapport de dimension idéal entre un canapé et un tapis? Que faire des fils exposés de votre chaîne stéréo? Ce couvre-rouleau hygiénique en tricot est-il suffisamment kitsch pour faire branché?".

Zeynep Arsel de l'Université Concordia et Jonathan Bean de la Parsons School for Design (New York) décrivent dans le Journal of Consumer Research comment les goûts en matière de décoration intérieure se développent, ces derniers étant une "partie intégrante de l'identité personnelle et (un) moyen pour se démarquer des autres".

Ils ont tiré leurs observations du site Web Apartment Therapy, un blogue portant sur le design intérieur du foyer et la consommation domestique.

Créé en 2004 et arrivant au 930e rang des sites Internet les plus populaires aux États-Unis, ce blogue exerce une influence considérable sur les consommateurs de la classe moyenne urbaine, précisait Le Devoir en janvier 2012 dans un article portant sur les travaux de Mme Arsel. "Les discours sur le goût formés collectivement fonctionnent comme une forme d'autorité culturelle distribuée", décrivait-elle dans une publication en 2011.

Les chercheurs ont analysé des centaines de milliers d'articles et de commentaires publiés sur ce site afin de modéliser comment les lecteurs de ce site façonnent leurs goûts personnels.

Les choix en matière de décoration intérieure auraient tendance à être d'abord des imitations de ce qui est vu en ligne ou à la télé, et ces décisions s'enracineraient peu à peu.

Zeynep Arsel évoque sa propre expérience. C'est par curiosité et non pas dans le cadre de ses recherches scientifiques qu'elle a découvert Apartment Therapy. "Je venais de louer mon premier appartement (...). C'était un rez-de-chaussée de duplex tout à fait typique de Montréal, et j'étais à la recherche d'idées déco pour égayer les pièces sombres."

En se fondant sur leur expérience personnelle et leurs travaux, les chercheurs ont élaboré une théorie selon laquelle la constitution du goût est un processus en trois étapes : problématisation, instrumentalisation et ritualisation.

"D'abord, le consommateur problématise son cadre de vie en le comparant aux conseils offerts sur le site Web et en reconnaissant qu'une amélioration est possible. Ensuite, il rationalise un choix déco ou un achat par instrumentalisation, c'est-à-dire par un rapprochement entre ce choix et certains motifs et objectifs. Enfin, les comportements d'imitation se transforment en comportements enracinés par la répétition et la ritualisation."

"Tout commence par la reconnaissance que les choses peuvent être mieux", explique la chercheuse au journal The Gazette, en donnant un exemple personnel illustrant l'étape de la problématisation. Avant de visiter ces sites internet, elle n'avait jamais penser que des câbles d'électroniques visibles avaient de l'importance. Mais elle estime maintenant qu'il s'agit d'une imporante faute esthétique.

"Nous commençons par regarder ces sites de décoration et par imiter ce que nous y voyons. Mais après les avoir fréquentés un certain temps, nous développons des repères personnels, lesquels peuvent devenir les marques d'un goût qui nous est réellement propre", conclut Zeynep Arsel.

Illustration, Source : Apartment Therapy

Psychomédia avec sources: Université Concordia, "Networked Styles and Normalizing Taste Narratives" in Advances in Consumer Research, Le Devoir, The Gazette. Tous droits réservés.