Des propositions pour la prochaine édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ("Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders"), le DSM-5, dont la publication est prévue pour mai 2013, peuvent conduire à poser des diagnostics de maladies mentales chez des millions de personnes aujourd'hui considérées normales, met en garde le psychiatre Allen Frances de l'Université Duke qui a été impliqué dans la révision ayant mené à la troisième édition du manuel et qui a dirigé celle de la quatrième édition.

L'American Psychiatric Association devrait perdre son monopole, vieux d'un siècle sur la définition des maladies mentales, propose-t-il, dans une page d'opinion du New York Times.

Jusqu'à la publication de la troisième édition en 1980, dit-il, le diagnostic psychiatrique, dominé par la psychanalyse, était un embarras professionnel alors que les psychiatres ne pouvaient que rarement s'accorder sur un diagnostic. Le DSM-3 a suscité l'enthousiasme en fournissant des critères spécifiques pour chaque trouble mental.

La quatrième édition, publiée en 1994, a essayé, dit-il, de contenir l'inflation de diagnostics. Elle a réussi sur le côté adulte, estime-t-il, mais elle n'a pas réussi à prévoir et contrôler le sur-diagnostic de l'autisme, des troubles déficitaires de l'attention et hyperactivité (TDAH) et du trouble bipolaire chez les enfants.

Le DSM est devenu une autorité qui dépasse sa compétence, juge-t-il. Il est devenu l'arbitre qui détermine qui est malade ou pas, les décisions de traitement, l'éligibilité aux assurances et paiements d'invalidité et l'attribution de services tels que les écoles spéciales. Il influence les directions de recherche et l'approbation des nouveaux médicaments. Il est largement utilisé (et mal utilisé) en cour de justice. Dans ce contexte, estime-t-il, l'impact du DSM-5 peut être catastrophique.

Un nouvel organisme devrait gérer la définition des troubles mentaux, dit-il. Toutes les disciplines de la santé mentale devrait y être représentées: psychologues, travailleurs sociaux, infirmières… Les conséquences de changements de définition devraient être évaluées par des épidémiologistes, des spécialistes de la santé publique et des experts médicaux-légaux. Les médecins généralistes qui prescrivent la plus grande part des médicaments psychotropes, souvent négligemment, devraient contribuer au système diagnostic afin de l'utiliser correctement, dit-il. Les consommateurs devraient aussi jouer un rôle important dans le processus de révision. Enfin, les tests devraient être menés dans des milieux de vie réels, et pas seulement dans des centres universitaires.

Des divisions de l'American Psychological Association et la British Psychological Society, notamment, ont exprimé leur inquiétude face à l'abaissement des seuils de diagnostic pour plusieurs catégories de troubles et l'introduction de nouveaux troubles qui, estiment-elles, peuvent conduire à des traitements médicaux inappropriés de populations vulnérables.