Deux études réalisées par des chercheurs de l’Agence nationale française de sécurité sanitaire (ANSES) et de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), mis en ligne après qu'un article du journal Le Monde ait révélé le contenu de l'une d'elles, mettent en évidence des anomalies dans la gestion du dossier du chlordécone aux Antilles par le ministère de l'Agriculture et "l'influence des intérêts économiques". Ces études ont été engagées dans le cadre du Plan d’action chlordécone 2008-2010.

Des alertes sur les dangers pour la santé de l'insecticide chlordécone utilisé jusqu'en septembre 1993 dans les bananeraies des Antilles, ont été négligées, voire ignorées, sous la pression des grands planteurs selon le rapport d'un chercheur en sociologie de l'INRA finalisé en juin et rendu public mardi par le quotidien Le Monde.

Dans ce rapport intitulé "La saga du chlordécone aux Antilles françaises : reconstruction chronologique 1968-2008", Pierre-Benoît Joly retrace les différentes phases de cette affaire.

Interdit aux Etats-Unis en 1976 et classé comme cancérigène possible en 1979, ce pesticide organochlorés a été interdit en métropole en 1990, mais trois années plus tard seulement aux Antilles.

En 1968 puis en 1969, l'homologation de l’insecticide Kepone a été rejetée en raison de sa toxicité par la Commission d'étude de l'emploi des toxiques en agriculture, rattachée au ministère de l'agriculture, rapporte Le Monde dans un résumé du rapport. Cependant, en 1971, grâce à "deux membres influents" de cet organisme, où siègent "les producteurs de pesticides et les représentants agricoles, mais pas les associations de protection de l'environnement ni les consommateurs", la commission propose "une autorisation provisoire de vente pour un an. Le ministère de l'agriculture crée donc un régime d’exception pour les Antilles et accorde, en 1972, cette autorisation. Il la prolonge en 1976, après des années de flou légal.

Avec les années 1980, "l'utilisation du chlordécone est relancée, avec l'approbation des pouvoirs publics". En 1981, une autorisation de vente est délivrée en France pour un insecticide à base de chlordécone (le Curlone) malgré, notamment, les données sur les risques avérés publiées dans de nombreux rapports aux Etats-Unis (131 articles).

Le témoignage rétrospectif d'un membre de la commission "confirme l'influence des intérêts économiques".

Le rapport pointe le rôle joué par le ministère de l'agriculture, qui "exerce un monopole de compétences qu'il ne partage ni avec l'environnement ni avec la santé" et "se trouve en situation de juge et partie". Le sociologue indique que la direction générale de l'alimentation (DGAL) et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) traînaient les pieds pour transmettre les documents de l'époque à leur homologue de l'environnement et du travail (Afsset).

L'affaire du chlordécone éclate vraiment en 1999, des travaux scientifiques sont alors lancés pour évaluer l'exposition à l'insecticide, débouchant sur des décisions politiques, avec un plan d'action pour la période 2008-2010.

Un autre rapport, "L'autorisation du chlodécone en France 1968-1981", rédigé par Matthieu Fintz de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Afsset, aujourd'hui l'Anses), rédigé en décembre 2009 et divulgué mardi le 25 août seulement, "souligne le poids économique de la culture de la banane dans la gestion du dossier chlordécone". "Face à la défense de l'industrie bananière française, on peut faire l'hypothèse que l'impact de l'utilisation de produits phytosanitaires sur l'environnement et la santé ait été secondaire dans les préoccupations des autorités politiques", écrit l'Afsset.

Le Mouvement pour le respect des générations futures (MDRGF) regrette "qu'il ait fallu tant de d'années avant d'avoir une évaluation de cette gestion calamiteuse" et "qu'à ce jour l'homologation des pesticides dépende toujours du Ministère de l'Agriculture et de lui seul". François Veillerette, porte parole du MDRGF, demande que "l'évaluation et l'homologation des pesticides soit dorénavant réalisée sous l'autorité des trois Ministères concernés : Agriculture, Santé et Environnement, chacun de ces trois Ministères devant avoir un poids égal dans la décision finale", rapporte le site Actu-environnement.

Psychomédia avec sources:
Le Monde, Observatoire des résidus de pesticides (l'Afsset), AFP, Actu-environnement, La Croix