Une norme journalistique d'impartialité consiste à présenter les opinions opposées lors de la couverture de sujets politiques, scientifiques ou autres.

Des critiques font valoir que, ce faisant, les journalistes produisent trop souvent un « faux équilibre » créant une impression de désaccord quand il y a, en fait, un niveau élevé de consensus sur des questions scientifiques, comme le changement climatique par exemple.

Une solution, adoptée par des organes de presse tels que la BBC et NPR, est de rapporter le « poids de l'évidence », c'est-à-dire d'indiquer la proportion d'experts qui partagent chaque opinion.

Le chercheur en psychologie Derek J. Koehler de l'Université Waterloo (Ontario, Canada) a mené deux expériences, qu'il rapporte dans le New York Times, afin de vérifier l'efficacité de cette solution. Ces travaux seront prochainement publiés dans le Journal of Experimental Psychology : Applied.

Ces deux expériences suggèrent, dit-il, que ce remède est imparfait. L'audition d'experts des deux côtés d'une question déforme la perception du niveau de consensus, même quand toutes les informations nécessaires pour corriger cette perception erronée sont fournies.

Dans l'une de ces expériences, tous les participants se sont fait présenter des informations sur les proportions d'experts partageant une variété d'opinions sur certaines questions économiques. Sur certaines questions, la grande majorité des experts étaient d'accord (par exemple sur l'efficacité d'une taxe sur le carbone pour diminuer la production de gaz à effet de serre) ; sur d'autres, il y avait plus de désaccord (par exemple sur les effets sociaux d'une augmentation du salaire minimum).

Une proportion des participants se sont fait présenter non seulement les chiffres sur la répartition des experts, mais aussi un extrait d'un commentaire d'un expert de chaque côté d'une question. Sur la question de la taxe sur le carbone, par exemple, ces participants ont lu un commentaire d'un des 93 experts qui pensaient que la taxe serait efficace et un commentaire comparable de l'un des 2 experts qui étaient en désaccord.

Ensuite, les participants devaient rapporter quelle était leur perception du niveau de consensus sur chacune des questions.

Bien que les deux groupes de participants disposaient des informations chiffrées sur le niveau de consensus, ceux qui avaient pris connaissance des commentaires opposés démontraient une moins bonne capacité de distinguer les questions pour lesquelles il y avait un grand consensus de celles pour lesquelles il y avait peu de consensus.

L'autre étude, qui fournissait aux participants des chiffres sur les opinions de critiques professionnelles sur divers films ainsi que des commentaires opposés, a montré le même phénomène cognitif.

« Quelle qu’en soit la cause, les conséquences sont inquiétantes », souligne le chercheur. « L'action du gouvernement est guidée en partie par l'opinion publique. L'opinion publique est guidée en partie par la perception de ce que les experts pensent. Mais l'opinion publique peut - et c’est souvent le cas - s'écarter de l'opinion d'experts, non simplement, semble-t-il, parce que le public refuse de reconnaître la légitimité des experts, mais aussi parce qu'il ne peut pas être en mesure de dire où se trouve l'opinion de la majorité d'experts. »

La pratique du « faux équilibre » profite, évidemment, à diverses industries qui financent des scientifiques pour réaliser des études visant à donner l'impression qu'il n'y a pas de consensus sur certains sujets (tel que le changement du climat, les méfaits du sucre…)

Psychomédia avec sources : New York Times, APA PsycNet.
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