Deux chercheurs ont publié une théorie du développement du cerveau qui propose une nouvelle façon de comprendre les troubles mentaux comme l'autisme et la schizophrénie, rapporte un article du New York Times.

Plusieurs spécialistes considèrent que, même si la théorie s'avérait en grande partie fausse, elle suggère des voies de recherche nouvelles sur la biologie de la maladie mentale qui seront certainement fructueuses.

Bernard Crespi, biologiste à l'Université Simon Fraser (Canada), et Christopher Badcock, sociologue à la London School of Economics, ont énoncé leur théorie dans une série de récents articles.

Ils proposent qu'un rapport de force entre les gènes provenant du sperme du père et de l'ovule de la mère peut diriger le développement du cerveau dans une de deux directions. Un fort biais en faveur des gènes du père pousse le développement du cerveau vers le spectre autistique, c'est-à-dire vers une fascination pour les objets, les patterns et les systèmes mécaniques au détriment du développement social. Un biais en faveur des gènes de la mère dirige le développement du cerveau vers le spectre psychotique, c'est-à-dire vers l'hypersensibilité à l'humeur (sa propre humeur et celle des autres). Cela, selon la théorie, augmente les risques de l'enfant de développer plus tard une schizophrénie ou des troubles de l'humeur tels que le trouble bipolaire (maniaco-dépression) et la dépression.

En bref, l'autisme et la schizophrénie représentent les extrémités opposées d'un spectre qui inclut la plupart des troubles psychiatriques et du développement cérébral, si ce n'est pas tous.

"Les implications empiriques sont absolument énormes," a expliqué Dr Crespi dans un entretien téléphonique. Si un gène s'avère lié à l'autisme, par exemple, le même gène peut être impliqué dans la schizophrénie ; s'il s'agit d'un gène lié à la sociabilité par exemple, il devrait avoir des effets opposés dans ces deux troubles, selon que le gène se soit exprimé ou non.

La théorie s'appuie fortement sur les travaux de Dr David Haig de l'Université Harvard. Il a argumenté dans les années 1990 que la grossesse était en partie une lutte biologique pour les ressources entre la mère et le fœtus. D'un côté la sélection naturelle devrait favoriser les mères qui limitent le coût nutritionnel de la grossesse et ont plus de bébés et de l'autre, elle devrait aussi favoriser les pères dont les descendants maximisent les nutriments durant la gestation, ce qui met en place un conflit direct.

Les indications que cette lutte se mène au niveau des gènes s'accumulent, bien qu'elles soient en grande partie circonstancielles.

Par exemple, le fœtus hérite des deux parents un gène appelé IGF2 qui promeut la croissance. Mais trop de croissance nuit à la mère, et dans le développement normal son gène IGF2 est biologiquement marqué pour être silencieux. Si son gène est actif, il cause un trouble de surcroissance dans lequel le poids du fœtus à la naissance est en moyenne 50 % au-dessus de la normale.

Les biologistes appellent ce marquage de gène un effet épigénétique, signifiant qu'il change le comportement du gène sans altérer sa composition chimique. Ce n'est pas un phénomène d'activation ou désactivation d'un gène. Le gène est plutôt marqué de telle sorte qu'il devient difficile à décoder pour la cellule ou encore, son action est altérée.

Pour illustrer comment cette altération génétique peut donner lieu à des comportements opposés, les chercheurs donnent l'exemple des syndromes d'Angelman et de Prader-Willi. Ceux qui ont le syndrome d'Angelman rient beaucoup de façon inappropriée, ont de la difficulté à communiquer et sont très demandant pour les personnes qui en prennent soin. Ceux qui ont le syndrome Prader-Willi sont placides et soumis.

Ces deux troubles, caractérisés par des symptômes opposés, viennent d'une perturbation de la même région génétique sur le chromosome 15. Si le gène du père domine à cet endroit, l'enfant développe le syndrome Angelman. Si le gène de la mère domine, il développe le syndrome de Prader-Willi. Le premier est associé à l'autisme et le deuxième aux troubles de l'humeur et à la psychose, comme la nouvelle théorie le prédit.

Dr Badcock a remarqué que les problèmes associés à l'autisme, comme l'incapacité de croiser le regard des autres, contrastent directement avec ceux vécus par les schizophrènes qui croient souvent qu'ils sont surveillés. Alors que les enfants avec l'autisme semblent aveugles aux pensées et aux intentions des autres, les personnes atteintes de schizophrénie voient des intentions et des significations partout dans leurs délires. Cette idée est développée par Dr Simon Baron-Cohen de l'Université Cambridge dans sa théorie de l'autisme appelée théorie du cerveau masculin extême.

"Pensez à la grandiosité dans la schizophrénie, comment certaines personnes pensent qu'elles sont Jésus, ou Napoléon", dit Dr Crespim "et comparer avec le sens de soi sous-développé dans l'autisme. Les enfants autistes parlent souvent d'eux-mêmes à la troisième personne".

La théorie présente un grand intérêt selon plusieurs experts malgré certaines difficultés. Dans son état actuel, par exemple, elle ne rend pas compte de différents phénomènes tels que le fait que plusieurs schizophrènes manifestent peu d'émotions. Ce qui ne cadre pas avec le spectre psychotique tel qu'elle le définit.

Psychomédia avec source : Novel Theory of Mental Disorders, Parents’ Genes Are in Competition, Benedict Carey, New York Times. .
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