« Zombies et vaudou hantent la psychiatrie en Haïti », rapporte un communiqué de l'Université de Montréal portant sur la contribution de psychiatres québécois au développement de la psychiatrie dans ce pays.

« Une croyance répandue en Haïti veut que la maladie mentale soit le résultat d’un mauvais sort ou de la possession d’esprits malfaisants. Certains croient même qu’avoir des relations sexuelles avec une femme atteinte de schizophrénie porte chance. Des personnes aux prises avec un trouble mental subissent ainsi des sévices corporels et ne reçoivent pas les soins appropriés. »

Le communiqué poursuit :

« Il faut tenir compte de cette réalité culturelle, explique le Dr Emmanuel Stip. Nous ne sommes pas là pour juger ni expliquer ou valider, mais pour essayer de comprendre le contexte et les mœurs de manière à ne pas simplement reproduire un modèle canadien. On doit prendre en considération les particularités organisationnelles, culturelles et économiques de la communauté », dit-il.

C’est la clé du succès du programme de soutien à l’enseignement de la psychiatrie implanté à l’Université d’État d’Haïti, que le directeur du Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal a mis sur pied en 2010 avec la collaboration des autorités locales et des hôpitaux psychiatriques de la région. L’objectif est d’aider à la formation de la relève haïtienne et de donner le goût aux étudiants en médecine de s’engager en psychiatrie. « À l’époque, il n’y avait pas de relève en psychiatrie. Un seul résident y faisait sa spécialisation. Aujourd’hui, on en dénombre presque une vingtaine », affirme le Dr Stip.

Le défi demeure grand. À l’heure actuelle, les deux hôpitaux de Port-au-Prince et de Croix-des-Bouquets ne disposent que de 130 lits alors qu’il y a environ 60 000 personnes qui souffrent de schizophrénie en Haïti. La majorité d’entre elles ne sont donc pas traitées. « Où sont-elles ? Cachées par leur famille, enfermées et attachées dans les maisons ? Ou bien prises en charge par une communauté ? On n’en sait rien », indique Emmanuel Stip. Autre fait saillant : le ratio de psychiatres en Haïti s’élève à 12 pour neuf millions d’habitants! Par comparaison, le Québec en compte un nombre similaire pour une population de 100 000 habitants. Par contre, un réseau communautaire déjà fonctionnel et l’engagement des différents échelons de la société dans la gestion de la problématique font en sorte que le milieu possède un potentiel pour créer un modèle de soins adapté et efficient. Et c’est ce à quoi travaillent le Dr Stip et ses collègues.

« Notre programme de soutien à l’enseignement de la psychiatrie mise sur une approche respectueuse des réalités locales en favorisant un transfert réciproque des connaissances », signale le psychiatre. Depuis sa création, près de 300 heures d’enseignement ont été offertes par des professeurs de l’UdeM. Durant chaque mission, un encadrement pédagogique est fourni aux résidents haïtiens par le biais de séminaires d’approfondissement et de supervision clinique. Un volet est aussi consacré à la participation de résidents en psychiatrie de l’Université de Montréal. Le but est que les résidents québécois s’ouvrent sur des réalités humanitaires, politiques et culturelles différentes. « Ces stages sont d’une très grande valeur ajoutée pour la formation de nos résidents, estime Emmanuel Stip. Cela leur permet d’intégrer des notions d’ethnopsychiatrie et de sociologie, et de vivre une expérience de coopération internationale dans le domaine de la santé mentale. Ces résidents jouent un rôle majeur dans l’établissement d’une relation prolongée avec les résidents haïtiens et ils assurent ainsi la pérennité de notre programme. »

Une médecine adaptée

Alors qu’il était chercheur clinicien au Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine (aujourd’hui le Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal), le Dr Stip a vite été amené à tenir compte des différences culturelles. « À Louis-H., environ 25 % de ma clientèle psychotique était d’origine haïtienne, un biais du territoire. Cette expérience m’a bien préparé à la réalité de la santé mentale en Haïti. »

Il cite des exemples vécus. « Prenez ce patient qui dit avoir déjà entendu des voix. Ici, ce pourrait être interprété comme un signe de schizophrénie alors qu’en Haïti, c’est plutôt ordinaire comme phénomène et ça ne mènera certainement pas aux mêmes conclusions. Comme ces histoires de zombies, ces personnes déclarées mortes par un acte de décès, mais qui soudainement reviennent parmi les vivants. Il ne faut pas chercher à tout comprendre ou vouloir élucider le mystère. Notre travail se situe ailleurs. »

Pour organiser les soins, rappelle le psychiatre, on doit s’efforcer de comprendre la mentalité du peuple haïtien, largement teintée par la culture vaudou. « Le hougan, le prêtre vaudou, est celui vers qui les Haïtiens se tournent généralement lorsqu’ils vivent un problème de santé mentale. Il prescrit des cérémonies, exécute des rituels, administre des infusions de plantes. Il faut en tenir compte dans l’interprétation des signes cliniques et dans l’itinéraire des demandes de soins », note le Dr Stip.

Comprendre l’environnement des patients, être ouvert à leurs us et coutumes apporte un enrichissement des connaissances qui profite aux pratiques d’ailleurs tout comme à celles d’ici, mentionne le Dr Stip. S’il est très fier des progrès accomplis, il demeure réaliste : « On n’aura pas le même ratio de psychiatres en Haïti qu’au Québec. Ça prendrait 300 ans pour y arriver. Mais nous pouvons créer un modèle de médecine différente, adaptée, et former des psychiatres aptes à travailler dans un réseau multidisciplinaire et communautaire. »

Illustration : Université de Montréal.

Psychomédia avec source : Université de Montréal.
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