Cet événement date de 17 ans déjà. Pour moi c'est encore comme si c'était la semaine dernière.

Montréal, vendredi 31 mai 1985, 22h30, mon conjoint raccrochait le combiné du téléphone pour m'annoncer qu'un grave accident venait de se produire dans ma famille, et ce à quelques centaines de kilomètres, dans le Bas du Fleuve. Il me dit : "ton beau-frère et tes 2 nièces sont décédées, ta soeur et ton neveu sont entre la vie et la mort".

Voilà tout le drame qui commence. Les bagages sont faits, on part! Longue nuit à me dire "C'est un cauchemar, je vais me réveiller" "Tiens bon (ma soeur), j'arrive", comme si j'y pouvais quelque chose!

4h45, je vois le visage de ma mère qui me dit : ta soeur, c'est fini! Elle ne m'a pas attendue! Pourquoi? Au même moment, bébé réagit (dans mon ventre, il a 7 mois), au douleur. Je me couche et carresse mon ventre pour le calmer. À partir de ce moment, je ferme tout. Je protège bébé.

Il reste le neveu qui ne doit pas survivre au dire des médecins, c'est une question d'heures! Pas d'exposition des corps, c'est trop dur! On ne les voit pas personne! On passe la fin de semaine et lundi, funérailles! On reçoit les condoléances à l'entrée de l'église pendant 1 heure, on prend place dans l'église et je vois 4 cercueils défiler à ma droite, c'est trop! mais je bloque tout.

Ils sortaient de chez les parents du beau-frère, la plus vieille (8 ans) n'était pas attachée derrière et la plus jeune (3 ans) était assise sur les genoux de ma soeur à l'avant. Un jeune de 19 ans sortait d'un bar avec un de ses chums et bang! accident frontal, le jeune décède lui aussi et son chum a un bras cassé.

Je passe le reste de la semaine avec mes parents et je retourne à Montréal le lundi suivant. La grossesse se poursuit et j'accouche en août. Le temps passe avec quelques visites.

Le petit neveu (6 ans) est transféré à Ste-Justine et demeure à l'hopital jusqu'en septembre. Le conseil de famille avait accepté que le frère du beau-frère l'accueille chez lui, il a déjà un fils un peu plus jeune que lui. Mais, oh surprise, la mamma du beau-frère décide (parce qu'elle décide de tout dans cette famille, peu importe l'âge des enfants) que c'est chez elle que le petit va rester, un point c'est tout. Impossible pour notre famille d'aller le chercher pour un souper de fête ou toute autre occasion, cet enfant lui appartient, c'est son bien, (c'est aussi sa bouée).

On emménage un an plus tard dans la maison de ma soeur décédée. Je vais rencontrer la grand-maman pour lui expliquer que pour le bien de l'enfant, il ne faudrait pas couper les contacts avec lui. Elle suggère qu'on aille le voir chez elle et elle vient faire des visites avec lui chez ma mère! On s'adresse à lui et c'est elle qui répond à sa place. Tellement agréable pour lui et pour nous. Le comble c'est qu'elle me répond : "Je n'ai pas élevé mes enfants chez les voisins".

La vie de 2 familles cassée!

J'ai l'impression que le reste de ma famille a vécu tout ça sans moi et je ne veux pas leur faire revivre ces moments. Et moi, tout l'année que j'ai passée à Montréal, j'ai pu éviter d'y penser à cette tragédie.

Aujourd'hui, chaque printemps, ces temps-ci, je traîne un boulet, je ne veux pas entendre parler d'accident, de décès, je suis à fleur de peau. C'est tellement long à cicatriser, ça ne finit plus. Depuis ce temps, tout ce qui est prestation en public, rencontre et interaction de groupe, je les évite, je crains tout le temps que des questions surviennent dans le genre : "Vous êtes combien chez vous?" As-tu des soeurs (j'en avais une ...).

Il faudrait que je règle ça mais je ne sais pas encore de quelle manière! Ici, tout le monde se connait, je connais personnellement les gens qui travaillent au CLSC, je ne veux pas avoir affaire avec eux, j'ai pas confiance.

Je m'adonne à des lectures sur le deuil, ça soulage temporairement mais ça revient toujours. Je suis adjonte adm. et secrétaire, j'évite les réunions par peur qu'on aborde le sujet, je m'invente des raisons pour fuir les rencontres où je crains d'avoir à répondre à des questions qui me touchent. Presque chaque fois que quelqu'un aborde le sujet ou me pose des questions relatives à cet événement, j'ai la réaction suivante : "Tu ne touches pas à ça! ce sont mes affaires, ça ne te regarde pas" Quand j'en parle à quelqu'un, c'est seulement quand je suis sûre qu'il(elle) ne fera qu'écouter, qu'il ne questionnera pas, et ça c'est rare des gens comme ça, donc j'en parle presque jamais! mais quand ça arrive, j'ai l'impression que j'ai une grande déchirure dans la gorge et un peu plus bas, ça devient physique, je manque d'air et j'arrête d'en parler.

Je me disais qu'avec le temps, tout s'atténuerait, mais c'est tellement long avant que je ressente un changement positif, un jour peut-être.

C'est évidemment la raison qui fait que je me suis inscrite à votre site, en espérant obtenir un soulagement quelconque soit par le témoignage d'autres personnes ou je sais pas quoi!

Merci de votre attention!

Manouche