Les mêmes gènes qui conféraient autrefois une protection contre la peste noire sont aujourd'hui associés à une susceptibilité accrue aux maladies auto-immunes telles que la maladie de Crohn et la polyarthrite rhumatoïde, montre une étude publiée en octobre 2022 dans la revue Nature.

La mortalité élevée causée par la maladie a favorisé la transmission des gènes des survivants aux générations suivantes.

Les chercheurs de l'Université McMaster (Canada), de l'Université de Chicago (États-Unis), de l'Institut Pasteur (France) et d'autres organisations se sont concentrés sur une période de 100 ans avant, pendant et après la peste noire, qui a atteint Londres au milieu des années 1300. La peste noire reste le plus grand événement de mortalité humaine de l'histoire, tuant plus de 50 % des habitants de ce qui était alors l'une des régions les plus densément peuplées du monde.

Plus de 500 échantillons d'ADN ancien ont été extraits et analysés à partir des restes de personnes décédées avant ou après la peste ou ayant survécu à la peste noire à Londres. D'autres échantillons ont été prélevés sur des restes enterrés dans cinq endroits du Danemark.

Les scientifiques ont recherché des signes d'adaptation génétique liés à la peste, qui est causée par la bactérie Yersinia pestis.

Ils ont identifié quatre gènes soumis à une sélection, tous impliqués dans la production de protéines qui défendent nos systèmes contre les agents pathogènes envahissants, et ont découvert que des versions de ces gènes, appelées allèles, protégeaient ou rendaient sensible à la peste.

Les personnes possédant deux copies identiques d'un gène particulier, le ERAP2, ont survécu à la pandémie à un taux beaucoup plus élevé que celles possédant le jeu de copies opposé, car les « bonnes » copies permettaient une neutralisation plus efficace de Y. pestis par les cellules immunitaires.

« Lorsqu'une pandémie de cette nature - tuant 30 à 50 % de la population - se produit, il y a forcément une sélection pour les allèles protecteurs chez les humains, c'est-à-dire que les personnes sensibles à l'agent pathogène en circulation vont succomber. Même un léger avantage fait la différence entre survivre et mourir. Bien entendu, les survivants qui sont en âge de se reproduire transmettront leurs gènes », souligne le généticien évolutionniste Hendrik Poinar de l'Université McMaster.

Les Européens vivant à l'époque de la peste noire étaient initialement très vulnérables, car ils n'avaient pas été exposés récemment à la bactérie Yersinia pestis. Au fur et à mesure que les vagues de la pandémie se sont succédé au cours des siècles suivants, les taux de mortalité ont diminué.

Les chercheurs estiment que les personnes possédant l'allèle protecteur ERAP2 (la bonne copie du gène) avaient 40 à 50 % plus de chances de survivre que les autres.

« L'avantage sélectif associé aux loci sélectionnés est parmi les plus forts jamais signalés chez l'humain, ce qui montre comment un seul agent pathogène peut avoir un impact aussi fort sur l'évolution du système immunitaire », souligne Luis Barreiro de l'Université de Chicago.

Au fil du temps, rapportent les chercheurs, « notre système immunitaire a évolué pour répondre de différentes manières aux agents pathogènes, au point que ce qui était autrefois un gène protecteur contre la peste au Moyen Âge est aujourd'hui associé à une susceptibilité accrue aux maladies auto-immunes. C'est le jeu d'équilibriste auquel se livre l'évolution avec notre génome. »

« Ce travail très original n'a été possible que grâce à une collaboration fructueuse entre des équipes très complémentaires travaillant sur l'ADN ancien, sur la génétique des populations humaines et sur l'interaction entre Yersinia pestis virulente vivante et les cellules immunitaires », explique Javier Pizarro-Cerda de l'Institut Pasteur.

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Psychomédia avec sources : Institut Pasteur, McMaster University, Nature.
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