Bonjour,

Il m'est arrivé une situation très choquante, dernièrement, et il est arrivé la même chose à l'intérieur du même laps de temps, à une personne avec qui je travaille. J'en déduis que cela semble être désormais la mode. Quoiqu'il en soit cela m'est insupportable, alors, je vous écris pour avoir votre avis.

Voici la situation : une personne, proche de moi, âgée dans la jeune vingtaine, que je croyais être mon ami, m'a annoncé abruptement, soudainement, sans aucun indice préalable, qu'elle mettait fin à notre relation. Elle est venue me voir à mon lieu de travail pour que nous prenions un dîner ensemble et elle m'a annoncé cela tout de suite après le dîner. Pas d'explications. À la question " Pourquoi ? ", elle ne veut pas répondre. Rien, le vide. Elle s'en va. J'ai été traumatisée. J'ai ressenti une peine immense et un sentiment d'injustice profond. Comment une personne peut-elle prétendre être mon ami, puis changer son fusil d'épaule du jour au lendemain, et soudainement me dire qu'elle ne veut plus me revoir ? Comment peut-on faire cela à quelqu'un sans lui donner d'explications ?

Je sais que l'on n'y peut rien, dans ces moments-là et que l'on ne peut sans doute jamais amener l'autre à réviser sa position. Je me serais toutefois sentie mieux si j'avais pu dire à cette personne comment je me sentais, si elle avait au moins pris le temps de m'écouter.

Je crois qu'elle a eu peur de moi et que ça l'a refroidie et qu'elle se protégeait vis-à-vis moi. Je comprends que j'ai désormais un deuil à faire de cette relation, mais je me demande si ce serait approprié que je reprenne contact avec cette personne afin de lui exprimer comment je me sens. Est-ce que je risque de prolonger mon deuil inutilement en agissant de la sorte ? Est-ce que je risque davantage de me blesser en me mettant dans une position de vulnérabilité vis-à-vis cette personne qui m'a déjà fait assez mal ? En attendant, on dirait que je porte la cicatrice d'une blessure qui tarde à guérir.

Autrement dit, bien me respecter et bien me positionner vis-à-vis l'autre, quand il ne veut plus de moi, qu'est-ce que ça veut dire ? Y a-t-il un art de rompre les relations ? Y a-t-il un art de tirer sa révérence ? Comment apprendre à laisser partir l'autre ?

Et si je me place du côté de la personne qui rompt la relation (et comme ça pourrait un jour m'arriver de me retrouver de ce côté) n'y a-t-il pas une façon plus appropriée, plus saine, plus humaine de mettre fin à une relation ? N'y a-t-il pas un minimum de respect et de sincérité auquel tous devraient se soumettre dans une relation ?

C-21

Réponse à C-21
08-03-02

Bonjour C-21,

Je souhaite accorder à votre lettre une attention particulière car le phénomène que vous dénoncez prend effectivement des allures de mode et tend à se répandre de plus en plus.

Nous vivons une époque où le " prêt-à-porter " prime sur le " fait sur mesure ". Et qui dit " prêt-à-porter " dit aussi " prêt à jeter ". Aujourd'hui, on jette bien des choses à la poubelle et parfois un peu trop vite. Les amours comme les amitiés, en apparence les plus solides, finissent parfois à la poubelle, sans crier gare, comme un kleenex usé ou comme une vieille paire de bas troués…

On peut comprendre que la cassure que vous avez subie ait été traumatisante : vous vous retrouvez avec rien : pas d'ami et pas d'explication. Le vide complet. Face à votre peine et à votre sentiment d'injustice, il vous reste vos forces et vos ressources intérieures (exemple : votre estime de vous, le sentiment de votre compétence personnelle, etc.), pour guérir votre blessure. Lentement mais sûrement.

Comment une personne peut-elle être votre amie un jour et puis brusquement vous dire qu'elle ne veut plus vous revoir ? Certaines personnes semblent avoir une conception assez floue de l'amitié. Elles semblent vivre leur amitié sur un mode dit continu; d'autres personnes semblent vivre leur amitié sur un mode discontinu. On désigne par là cette capacité à se relier de façon solide aux personnes et aux choses et de relier les événements entre eux. Si pour vous, cette cassure représente un réel traumatisme, c'est que vous viviez davantage sur le mode continu. Si pour lui, cette cassure ne représente qu'un inconvénient mineur ou peut-être même un soulagement, c'est qu'il vivait davantage sur le mode discontinu.

Comment peut-on faire cela à quelqu'un sans lui donner d'explications ? D'une part, fournir des explications, dire " je suis désolé…", c'est, en quelque sorte, prendre soin de son interlocuteur. C'est faire preuve de générosité envers lui, c'est aussi lui manifester de façon tangible le respect ou la cordialité qui ont présidé à vos rencontres passées. En effet, ces qualités n'ont pu s'envoler en un instant ! Par contre, refuser de fournir des explications, c'est choisir le chemin de la facilité. Il s'agit d'un choix personnel, sans doute motivé par la peur, la gêne, l'irritation, ou plus simplement le manque d'habiletés relationnelles. Ou encore motivé par les conseils d'une tierce personne, elle-même aux prises avec ses propres blessures, projections, ou sentiments de jalousie. Et d'autre part, vous ne pouvez réellement dire " faire cela à quelqu'un… "; en effet, il ne " vous " a pas fait quelque chose : il s'est fait quelque chose à lui-même, quelque chose qu'il estimait adéquat et approprié.

Il demeure aussi que, dû au fait que la personne dont vous parlez soit dans la jeune vingtaine, son comportement peut aussi sembler davantage apparenté à celui de certains adolescents impulsifs qu'à celui des adultes (" Tu n'es plus mon ami ! ") On peut aussi comprendre que les personnes qui éprouvent des difficultés à ressentir, à identifier, à gérer, leurs propres émotions, surtout celles qui sont les plus pénibles à accepter, vivent un inconfort, parfois insoutenable, face aux émotions que les autres éprouvent envers elles. Dans ce dernier cas, il serait juste de parler de fuite.

Risquez-vous de prolonger votre deuil en reprenant contact avec cette personne ? Il est impossible de le prédire, vous pouvez le prolonger ou…l'accélérer ! Si vous prenez ce risque et si vous essuyez un deuxième refus, vous aurez compris. Mais on sait aussi que parfois, après plusieurs mois ou plusieurs années, avec le recul du temps et une certaine perspective, les explications surgissent enfin.

Même si la situation est souffrante pour vous, vous pouvez toujours vous consoler (en partie) en vous disant que la douceur et la sensibilité de cette personne sont cachées derrière un masque de mépris (qui agit comme une protection et qui sert de frontière rigide), masque qu'elle a choisi de porter devant vous. Les raisons profondes du port de ce masque lui appartiennent et vous n'y pouvez rien.

Risquez-vous davantage de vous blesser en vous plaçant dans une position de vulnérabilité ? Le risque existe, c'est évident. Mais, êtes-vous sûre qu'il s'agisse bien d'une position de vulnérabilité ? Et si le fait de vous ouvrir à l'autre sur votre blessure et votre incompréhension, par exemple par écrit, était plutôt une position de force ? Et si c'était l'autre, dans sa fermeture stratégique, qui était le plus vulnérable ou le plus malheureux des deux, en dépit des apparences ? La force du masque derrière lequel nous nous protégeons est proportionnel à notre fragilité.

Vous respecter, vous positionner face à l'autre qui ne veut plus de vous, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que vous allez réapprendre à marcher sans cette amitié. Ce qui devrait être possible puisque, après tout, vous marchiez bien sans cette amitié avant de connaître cette personne.

Il semble bien, par ailleurs, que cette " amitié " entre vous devait lui paraître plus pénible que joyeuse, plus désagréable que bénéfique, plus superficielle que profonde. Dur constat pour vous…mais constat incontournable.

Il vous reste à méditer sur votre responsabilité à vous dans cette affaire. En quoi votre attitude aurait-elle pu contribuer à éloigner l'autre ? Peut-être n'étiez-vous pas attentive à certains signes ? Si vous n'êtes pas responsable de la manière " sauvage " que l'autre a utilisée pour vous dire adieu, sans doute êtes-vous co-responsable d'avoir bâti une situation qui a fini par être déplaisante pour lui, chose qu'il aurait pu vous communiquer, bien entendu. S'il ne l'a pas fait, vous ne pouviez pas deviner.

Chose certaine, s'il existe des façons plus appropriées, plus saines, plus humaines, de mettre fin à une relation (le respect, la sincérité comme vous le dites), rien ni personne n'oblige votre ex-ami à se soumettre à un protocole qu'il désapprouve ou que peut-être même il ignore.

Si la personne qui vous a laissée a choisi la voie égoïste parce qu'elle lui semblait la meilleure…ça la regarde elle, et strictement elle, une règle fondamentale des relations humaines étant que les autres ne se comportent pas nécessairement en conformité avec nos attentes.

Vous pouvez aussi faire cet effort mental qui consiste à décider, à votre tour, de quitter cette relation, désormais devenue caduque. Cet effort, même après coup, constitue beaucoup plus qu'un tour de passe-passe de l'esprit : c'est la récupération de votre pouvoir personnel qui est en jeu.

Vous portez une blessure et bientôt vous porterez une cicatrice. C-21, rappelez-vous aussi ceci : " Le coup qui ne tue pas vous donne de la force ".

Bien à vous.

Georges-Henri Arenstein
Psychologue