Des fabricants de cigarettes ont mené des recherches sur certaines substances et en ont ajouté certaines à leurs produits afin d'augmenter leur effet coupe-faim, montre pour la première fois une étude suisse publiée dans l'European Journal of Public Health. Il était déjà connu que l'industrie modifiait les cigarettes pour augmenter l'addiction et la dépendance, notent les auteurs de cette étude.

Les chercheurs lausannois ont analysé les archives de l'industrie du tabac, rendus publics suite à des grands procès menés aux États-Unis qui s'étaient conclus à la fin des années 1990 sur un accord exigeant notamment des principaux cigarettiers qu'ils rendent accessibles leurs archives. Ces documents ont déjà permis de montrer le recours à l'ammoniac qui, ajouté au tabac, favorise l'absorption de la nicotine.

  • «La prise de poids est une des raisons qui fait que les gens renoncent à arrêter de fumer, et c'est une des raisons qui fait qu'ils rechutent», rappelle Jacques Cornuz, de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne (PMU), coauteur. Globalement les fumeurs ont un indice de masse corporelle (IMC) inférieur aux non-fumeurs. «A l'arrêt de la cigarette, la prise de poids est en moyenne de 3 à 5 kilos, indique Semira Gonseth, également de la PMU, auteure principale. (Votre indice de masse corporelle: poids santé, surpoids, obésité?)

L'analyse des documents internes de 6 des principaux industriels du tabac (American Tobacco, Philip Morris, RJ Reynolds, Lorillard, Brown & Williamson et British American Tobacco), couvrant la période de 1949 à 1999, montre que des stratégies ont été mises en place pour renforcer l'effet des cigarettes sur l'appétit.

Depuis les années 1960, les projets de recherche portaient sur des molécules chimiques susceptibles de réduire la sensation de faim (propylène glycol, éphédrine). Certains se sont intéressés aux effets du gaz hilarant (N20) produit lors de la combustion du tabac, et à l'éventuel ajout d'amphétamine.

Si rien ne montre à ce stade que ces substances aient été utilisées dans la fabrication de cigarettes, il est avéré que deux autres molécules ont été ajoutées au tabac pour leur effet coupe-faim: l'acide tartartique (interdit aux Etats-Unis en 1977) et le 2-acétylpyridine.

Ces résultats laissent planer un doute sur les pratiques actuelles. Les fabricants ne sont pas tenus d'indiquer les ingrédients utilisés dans la fabrication des cigarettes. «On pourrait procéder à des analyses chimiques, mais ce serait extrêmement difficile, indique Semira Gonseth. On ne peut trouver que ce que l'on cherche exactement. Il suffit qu'il existe une toute petite différence de structure chimique entre une molécule et une autre ayant le même effet, et on ne verra rien». Seules des mesures politiques pourraient forcer les fabricants à fournir l'information.

Une limitation majeure de l'étude, notent les auteurs, est le manque d'accès aux données et documents du passé (les archives sont difficilement consultables par des moyens informatiques, des indices laissent penser que certains documents ont pu être détruits) et le manque de documents actuels. Ce qui laisse penser que la réalité dépasse les découvertes de cette étude.

"Nos résultats, écrivent-ils, doivent aider les fumeurs et la communauté des soins de santé à comprendre au moins en partie pourquoi la cigarette réduit l'appétit, et pourraient expliquer en partie pourquoi les fumeurs pèsent en général moins que les non-fumeurs. Bien que l'effet anti-appétit des substances citées ci-dessus soit peu connu dans la littérature médicale, nous pouvons faire l'hypothèse que le gain de poids suivant l'arrêt du tabac pourrait être un «effet rebond» de l'arrêt de la consommation quotidienne d'une substance anti-appétit à travers la cigarette, comme il est connu pour l'utilisation d'autres substances anti-appétit."

lematin.ch, European Journal of Public Health
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