Il vaut mieux manger une pomme qu’une compote. Anthony Fardet, chargé de recherche à l'Université Clermont Auvergne et auteur du livre « Halte aux aliments ultra-transformés : mangeons vrai », et Edmond Rock, directeur de recherche à l'Inra, expliquent pourquoi sur le site The Conversation France.

« Usuellement, le potentiel santé d’un aliment est défini en examinant sa composition en nutriments : teneur en glucides, lipides, protéines, vitamines, minéraux, phytonutriments… »

« Cette vision (...) est cependant réductionniste. Elle ne rend pas compte pleinement du lien entre aliments et santé, car elle occulte une partie de leurs propriétés, celles dues à leur structure ».

« Or en ignorant cet effet “matrice”, on s’expose à des recommandations erronées. Ainsi, donner à un enfant des céréales de type riz ou blé complet pour son petit-déjeuner semble une bonne idée. Cependant la cuisson-extrusion ou le soufflage peut avoir tellement dénaturé la matrice de l’aliment qu’elle l’a transformé en une source de sucres “rapides” pour l’organisme. Et donc, au final, l’enfant absorbe un aliment riche en sucres simples, dont les propriétés sont très éloignées de celles de la céréale initiale.

Prenons une amande : elle est dure, marron, plus ou moins poreuse, fibreuse. Si on la broie, sa matrice change : l’amande se présente désormais sous forme de poudre. Or si la composition d’une amande broyée est bien strictement identique à celle d’une amande entière, leurs effets dans l’organisme ne sont pas les mêmes. Les différences physiques se traduisent en particulier par une différence de digestibilité des nutriments, qui entraîne notamment des réponses physiologiques et métaboliques différentes.

L’effet matrice des aliments implique donc que deux aliments de composition identique mais avec des structures différentes n’ont pas les mêmes effets sur la santé. »

« Prenons l’amidon : si vous le découpez pour obtenir du sirop de glucose puis du sirop de glucose-fructose, la composition (ou tout du moins la teneur en calories) demeure identique. Le fructose a en effet la même composition que le glucose, mais une structure différente. Cependant, les effets physiologiques ne sont plus les mêmes : leurs index glycémiques (intensité avec laquelle un aliment augmente le taux de sucre dans le sang) diffèrent. En outre, malgré un index glycémique bas, la consommation excessive de fructose a été associée à la stéatose hépatique ou maladie du foie gras non alcoolique, qui se caractérise par un excès de graisses dans le foie. »

Trois effets physiologiques fondamentaux de la matrice des aliments

« La matrice joue plusieurs rôles fondamentaux dans l’alimentation. » Elle influe sur :

  • la satiété (celle-ci est stimulée par la mastication) ;
  • la vitesse de libération des nutriments dans le tube digestif et donc leur utilisation métabolique ultérieure ou biodisponibilité ;
  • la vitesse de transit digestif.

« Si l’on reprend l’exemple des amandes, l’amande entière est plus rassasiante (car vous mastiquez plus une matrice solide), libère moins de lipides dans le sang, et le fait plus lentement que l’amande finement broyée en raison des parois fibreuses. Trois mécanismes essentiels pour la santé à long terme… »

Des différences similaires existent pour une pomme entière, en compote ou sous forme de jus.

Aliments ultratransformés et perte de l’effet matrice

« D’une façon ou d’une autre, tout procédé technologique modifie la matrice d’un aliment, qu’il soit thermique, mécanique, et/ou fermentaire. Dans certains cas, la modification de la matrice alimentaire est souhaitable car elle rend l’aliment plus digestible. »

« Cependant, une transformation qui déstructure totalement la matrice pour en isoler ses ingrédients constitutifs, puis les recombiner au sein de matrices artificielles, comme dans le cas des aliments ultra-transformés, pose problème pour la santé. »

L’une des caractéristiques principales de ces aliments est, dans bien des cas, non seulement la perte de l’effet « matrice » par cracking/fractionnement, mais aussi par extraction, purification, hydrolyse ou modifications chimiques. (Qu'est-ce que le « cracking » qui dénature les aliments ?)

« Ces aliments ultratransformés deviennent ainsi “hyper-palatables” (caractère de la texture des aliments agréables au palais), ce qui entraîne une surconsommation de calories. Hyper-attractives, les matrices de ces aliments sont davantage friables, molles, visqueuses ou liquides. Elles sont peu mastiquées, et donc peu rassasiantes. »

Fibres naturelles ou isolées : un effet « matrice » différent

« L’exemple des fibres est aussi intéressant : les industriels ajoutent souvent des fibres aux aliments qui ont été trop raffinés. Cependant, la qualité physiologique n’est pas la même. En effet, les fibres naturellement présentes dans les matrices alimentaires sont associées à des phytonutriments, dont des antioxydants, qu’elles libèrent progressivement dans le tube digestif.

En passant dans le sang, ces molécules protègent potentiellement de l’oxydation des LDL (...). Connues comme le “mauvais cholestérol”, ces LDL correspondent à l’excès de cholestérol qui se dépose sur les parois des vaisseaux sanguins où elles forment des plaques d’athérome, constituant ainsi un facteur de risque cardiovasculaire. Leur oxydation a tendance à diminuer l’efficacité de leur élimination par l’organisme et à accentuer ce dépôt.

Au niveau du côlon, les antioxydants associés aux fibres contenues naturellement dans les aliments permettent aussi de lutter contre les radicaux libres coliques bactériens, entre autres.

En outre, ces fibres ne seront pas fermentées de la même façon dans le côlon. Enfin, elles confèrent une structure particulière aux produits végétaux, les dotant de meilleures propriétés physicochimiques (telles qu’une meilleure capacité de rétention d’eau) que les fibres isolées, souvent appauvries en composés bioactifs protecteurs associés. »

Recommandations de santé publique

Selon les auteurs, « l’explosion des prévalences de maladies chroniques dans le monde semble en effet être davantage due à la perte de l’effet “matrice” des aliments qu’avec leur composition. »

« En effet, la “cause première” qui pousse les gens à consommer plus de calories que de raison est bien la modification de cette matrice. La surconsommation de gras saturés, sel, sucres et additifs à risque qui en résulte n’en est que l’effet. » (Aliments ultratransformés : les calories ne sont pas la seule raison pour la prise de poids)

« Il apparaît donc fondamental de prendre en compte l’effet “matrice” des aliments dans les recommandations nutritionnelles. »

Cela passe notamment par une limitation de la consommation d’aliments ultra-transformés.

Anthony Fardet et Edmond Rock ont précédemment proposé une règle simple des « 3 V » pour une alimentation qui protège la santé (et la planète).

Pour plus d'informations sur les aliments ultratransformés, voyez les liens plus bas.

Psychomédia avec sources : The Conversation France.
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