Depuis près d’une dizaine d’années, la fondation FondaMental suit une grande cohorte qui regroupe à ce jour plus de 4 400 personnes atteintes de troubles bipolaires afin d'« identifier les marqueurs des différentes formes cliniques de ces troubles très hétérogènes, et analyser les trajectoires de la maladie afin de repérer et de corriger les facteurs de mauvais pronostic », rapporte le magazine de l’Inserm n° 54 (septembre 2022).

Une personne sur 100, selon les études épidémiologiques, est atteinte de troubles bipolaires, rapporte l'Inserm.

« Les personnes atteintes sont sujettes à des phases maniaques – se traduisant par de l’hyperactivité, de l’euphorie, et d’autres troubles comportementaux qui ont un impact majeur sur la vie sociale, professionnelle et affective – et à des phases dépressives. »

Les troubles bipolaires sont associés à une réduction de l’espérance de vie de 10 ans en raison notamment de comorbidités somatiques comme les maladies cardiovasculaires.

Tous les participants à la cohorte FACE-BD (FondaMental Advanced Center of Expertise for Bipolar Disorder) ont eu une évaluation de base, et 61 % ont eu au moins une visite de suivi à un, deux ou trois ans. Quelque 1200 participants ont fourni au moins un échantillon biologique (sérum, plasma, ADN).

Dans une publication en juin 2022 dans le Journal of Affective Disorders, les équipes de la fondation, menées par Marion Leboyer, qui a reçu le Grand Prix Inserm en 2021 pour ses découvertes sur les troubles bipolaires notamment, ont fait le bilan de cette décennie de suivi de la cohorte. Les connaissances ont fortement progressé, décrivent les auteurs.

La piste immunoinflammatoire

Sur les causes, tout d’abord. Grâce aux analyses génétiques et immunologiques, « des découvertes déterminantes ont été réalisées sur le lien entre facteurs génétiques et environnementaux ».

« Nous avons contribué à montrer que les patients bipolaires sont porteurs de variants génétiques en particulier du système Human Leukocyte Antigen (HLA) ou des gènes des récepteurs Tolllike (TLR) qui les rendent plus susceptibles à des facteurs de risques environnementaux, comme les infections, les traumatismes sévères, la pollution, la mauvaise hygiène de vie », explique Marion Leboyer. « L’exposition à ces facteurs déclenche une réponse inflammatoire qui perdure dans le temps, et peut engendrer l’activation de voies biologiques délétères, comme celles des rétrovirus endogènes, la production d’auto-anticorps, ou encore les modifications des neurotransmetteurs. »

« La découverte de ces anomalies immuno-inflammatoires ouvre désormais la voie à l’identification de biomarqueurs de formes cliniques homogènes de troubles bipolaires, mais aussi à la découverte de traitements ciblés. »

Différentes trajectoires

« Nous savons désormais qu’il existe trois types de trajectoires », explique Ophélia Godin, coauteure : « les patients qui s’améliorent, ceux qui ne s’améliorent pas, et ceux dont l’état s’aggrave au cours du temps ». Cette évolution est mesurée en analysant le fonctionnement du patient, c’est-à-dire sa capacité à mener une vie quotidienne normale, mais aussi son fonctionnement cognitif.

« Nous avons découvert que les déficits cognitifs, comme des troubles de la mémoire verbale, s’accompagnent dans un second temps de difficultés de fonctionnement variées qui empêchent de réaliser des activités quotidiennes simples (courses, rendez-vous…) et de maintenir des relations sociales satisfaisantes », rapporte Paul Roux.

Les chercheurs ont identifié des facteurs qui pourraient permettre de modifier les trajectoires des patients, explique Ophélia Godin. « Ceux qui suivent une mauvaise trajectoire de fonctionnement ont davantage de syndromes dépressifs, de troubles du sommeil, un poids plus important et suivent moins bien leur traitement. Il faut donc agir sur ces facteurs en priorité. »

« Cela passe notamment par la prise en charge de la dépression et des recommandations sur l’hygiène de vie, le sommeil, l’activité physique et une alimentation équilibrée », rapporte l'Inserm.

Le surpoids est fréquent chez ces patients : près de la moitié est concernée. « En cause : un lien entre les troubles bipolaires et le syndrome métabolique, un trouble qui associe plusieurs dérèglements comme l’hypertension, le diabète ou le cholestérol. »

Le lien avec le syndrome métabolique

« Nous avons montré que la fréquence de ce syndrome est deux fois plus élevée chez les individus atteints de troubles bipolaires comparés à la population générale, avec une prévalence entre 20 % et 24 % », rapporte Ophélia Godin.

« Or les personnes qui présentent un syndrome métabolique possèdent un risque accru de développer un diabète ou une maladie cardiovasculaire. Ces maladies cardiovasculaires représentent précisément la première cause de mortalité des patients bipolaires. Il est donc primordial de les dépister et de les prendre en charge afin d’améliorer le pronostic », ajoute la chercheuse.

Traitement

« Le lithium, le régulateur de l’humeur le plus courant et le mieux toléré, peut nécessiter des prises quotidiennes. Certains psychotropes favorisent la prise de poids. Ce type de contrainte met parfois en péril l’observance, c’est-à-dire la propension du patient à suivre la prescription du médecin. Or, celle-ci exerce une forte influence sur le pronostic de la maladie. »

« Chez un même patient, l’observance est plutôt variable », commente Raoul Belzeaux, coauteur. Il existe des facteurs qui permettent d’agir sur le suivi du traitement, comme l’intensité des symptômes dépressifs. Dans ce cas, le patient peut manquer de motivation pour respecter le traitement. Parfois, le problème est d’ordre cognitif : les difficultés de concentration provoquent des oublis. L’une des solutions pour améliorer l’observance est l’éducation thérapeutique, qui consiste à mieux expliquer au patient l’importance du traitement. « Un tiers des patients répondent très bien au traitement et n’ont ni symptômes résiduels ni rechute, ce qui est très encourageant », affirme Raoul Belzeaux.

Pour plus d'informations sur le trouble bipolaire, voyez les liens plus bas.

Psychomédia avec sources : Inserm, Journal of Affective Disorders.
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