« Un surpoids important augmente fortement le risque de développer une forme sévère de Covid-19 ».

Frédéric Altare, directeur du département d'immunologie au Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes-Angers, explique les raisons potentielles liées au système immunitaire sur The Conversation.

« Un surpoids important constitue la principale comorbidité en lien avec les formes sévères de Covid-19, qui nécessitent une admission en réanimation », rapporte-t-il.

« Les personnes qui se retrouvent en réanimation sont surtout celles qui ont franchi le cap de l’obésité dite morbide. »

« Le surpoids est évalué grâce au fameux “indice de masse corporelle”, ou IMC, qui est le rapport du poids sur la taille au carré. On considère qu’une personne dont l’IMC se situe au-delà de 25 commence à être en léger surpoids. À partir de 30, on parle de surpoids avéré avec début d’obésité, à 35 on commence à parler d’obésité sévère, et à partir de 40 on entre dans ce qu’on appelle l’obésité “morbide”. Morbide, car les gens concernés sont considérés comme à risque de développer des pathologies, majoritairement cardiovasculaires et athérosclérose, mais aussi diabète de type 2, atteintes hépatiques, certaines formes de cancers… »

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Toutes ces pathologies découlent directement de l’inflammation, explique l'auteur.

« Tout commence dans la masse graisseuse. Celle-ci est constituée de cellules spécialisées dans la métabolisation du gras, appelées adipocytes. Elles sont capables d’“usiner” les lipides apportés par l’alimentation afin de les utiliser, ou bien de les stocker pour servir ultérieurement de “source d’énergie” pour la cellule. Ils servent notamment à fabriquer des composés lipidiques utilisés pour construire et régénérer la membrane des cellules. Quand la quantité de gras fournie par l’alimentation est normale, ce métabolisme (appelé métabolisme oxydatif) fonctionne bien. Les cellules graisseuses stockent les lipides et se multiplient.

Le problème survient quand la proportion de gras fournie par l’alimentation augmente trop et que les adipocytes sont débordés. Pour faire face à la suraccumulation de lipides, ils mettent en place une chaîne de traitement secondaire, appelée métabolisme non oxydatif. Problème : ce métabolisme alternatif usine lui aussi les lipides alimentaires, mais au lieu de produire des constituants utilisables pour les membranes des cellules, il produit d’autres composés, notamment des céramides. Ces derniers sont très peu stockés par les adipocytes, qui les relarguent à l’extérieur.

Or les céramides favorisent l’inflammation : quand des cellules du système immunitaire entrent en contact avec eux, elles les considèrent comme des signaux de danger. Elles se mettent à s’activer, et à produire à leur tour de nombreux composés favorisant l’inflammation, destinés à attirer d’autres cellules immunitaires, qui vont à leur tour entrer en alerte et accroître l’inflammation, etc. ».

Les cellules immunitaires concernées sont surtout des macrophages. Ces cellules s’infiltrent dans les tissus et patrouillent à la recherche d’indésirables qu’ils ingèrent, avant de prévenir les autres cellules immunitaires.

« Attirés par les sous-produits métaboliques relargués par les cellules adipeuses, les macrophages peuvent représenter jusqu’à 40 % de toutes les cellules du tissu graisseux. Plus ce dernier est important, plus les macrophages vont être nombreux. Si le nombre de macrophages est donc logiquement plus élevé chez les personnes en surpoids, ces cellules sont néanmoins aussi présentes, en plus faible quantité, dans le tissu graisseux des individus “maigres”. Nous avons donc tous dans notre masse graisseuse un peu d’inflammation. »

« Lorsque la situation est normale, cette inflammation est maintenue sous contrôle. En effet, il existe deux sortes de macrophages, ceux du type M1, qui sont plutôt proinflammatoires, et ceux du type M2, plutôt anti-inflammatoires. Chez les individus maigres, les macrophages de type M2 prédominent et freinent l’induction de l’inflammation due au gras. Ils sont aidés en cela par d’autres cellules immunitaires, les lymphocytes “régulateurs”. »

« Chez les individus obèses, on s’est rendu compte non seulement que ces lymphocytes régulateurs étaient peu nombreux, voire absents, mais aussi que les macrophages M2 étaient remplacés par des macrophages M1, beaucoup plus stimulés par les céramides. Or les macrophages M1 produisent de nombreuses molécules favorisant l’inflammation, telles que les cytokines IL-1 ou IL-6, des messagers chimiques. »

« Quand le coronavirus nous infecte, notre système immunitaire réagit notamment en produisant, en 7 à 10 jours, des anticorps. »

« Le problème est que si certains de ces anticorps sont neutralisants et empêchent le virus d’entrer dans nos cellules, d’autres sont facilitants. Non seulement ces derniers n’empêchent-ils pas le virus d’entrer dans les cellules, mais qui plus est, comme tous les anticorps, ils activent les macrophages et d’autres cellules immunitaires, ce qui favorise l’inflammation.

Cette réaction est censée, à terme, tuer le virus. Mais ce n’est pas ce qui se passe dans les formes graves du Covid-19 : l’inflammation s’emballe, et un véritable orage cytokinique se déclenche, qui va, à terme, détruire les organes. En particulier les poumons, dans un premier temps, mais également d’autres organes comme les reins ou le cœur.

Dans le cas des personnes obèses, la survenue de cet orage cytokinique est d’autant plus probable que le niveau d’inflammation est déjà élevé de base. »

Pour le développement d’une forme sévère, « la zone critique est comprise entre 7 et 10 jours, soit la durée de production des anticorps. Les gens vulnérables peuvent développer une pathologie supportable dans un premier temps (de la fièvre avec juste un peu de toux, quelques problèmes respiratoires mineurs…), qui semble arriver à un plateau au bout d’une semaine.

C’est à ce moment que certains malades vont basculer : si le système immunitaire a laissé le virus se multiplier au point de déclencher une pré-inflammation suffisante pour créer un orage cytokinique, en quelques heures l’état de la personne se dégrade. »

« En réanimation, au quotidien, il s’agit moins de lutter contre le virus, pour lequel il n’existe de toute façon pas encore vraiment d’antiviraux très efficaces, que de combattre l’inflammation et d’éviter l’orage inflammatoire, ou de l’enrayer s’il est déjà là.

On utilise pour cela, en particulier, des inhibiteurs des cytokines IL-1 et IL-6, qui sont les deux principaux médiateurs de l’inflammation. Ces traitements sont déjà classiquement utilisés en rhumatologie ou dans des pathologies auto-immunes. Ils ont déjà été testés, on sait comment ils marchent, on connaît les doses… Ils ne fonctionnent plutôt pas trop mal pour lutter contre le Covid-19 : grâce à eux on arrive à récupérer les malades. On peut par exemple citer le tocilizumab, un anti-IL6 pour lequel il y a un essai en cours en Italie.

Le problème des anti-inflammatoires est qu’ils peuvent inhiber une partie de la réponse anti-infectieuse de l’organisme. On diminue l’inflammation d’un patient pour sauver ses organes, mais dans le même temps on l’empêche de lutter efficacement contre le virus. Il faut donc jongler sur le fil du rasoir avec ces anti-inflammatoires, ce qui rend la prise en charge des malades Covid-19 si délicate.

Concernant les antiviraux, des pistes sont à l’étude, mais il s’agit surtout pour l’instant de stratégies “de première ligne” : dans l’urgence on essaie de réutiliser des médicaments qui n’ont pas été conçus pour lutter contre virus, en espérant que certains aient un petit effet. Il s’agit de gagner du temps. Diminuer la quantité de coronavirus, ou réduire de 3 jours sa durée de vie dans l’organisme, c’est laisser d’autant moins de temps à l’inflammation pour s’installer, ce qui peut éviter que les gens partent en réanimation. Les patients y sont en effet admis lorsqu’au moins un de leurs organes est défaillant. »

« Toute diminution de la masse graisseuse va aider à diminuer le taux d’inflammation résiduel. Et tout degré d’inflammation en moins constitue une chance supplémentaire de mieux résister au coronavirus, qui déclenche lui-même une inflammation. »

« Faire du sport, modifier son alimentation pour limiter le stockage des lipides peuvent aider à ne plus fabriquer ces fameux réactifs de type céramides, qui sont nocifs et activent l’inflammation. »

« Ces dernières années, une autre piste intéressante a émergé : des travaux ont révélé que le microbiote des gens obèses était très différent de celui des gens non obèses. Certaines bactéries, en particulier, en étaient absentes. Nos propres recherches ont montré que certaines de ces bactéries, qui “manquent” aux personnes obèses, sont habituellement responsables de l’émergence de lymphocytes régulateurs, ces pompiers qui éteignent l’inflammation. »

« Il est trop tôt pour que ces observations se traduisent par des traitements, mais elles incitent à conseiller de prendre soin de son microbiote, notamment en veillant à avoir une alimentation équilibrée et en limitant sa consommation d’alcool. »

Article complet sur The Conversation: Conversation avec Frédéric Altare : l’obésité, facteur très aggravant du Covid-19.

Pour plus d'informations sur la COVID-19, sur l'alimentation anti-inflammatoire et la perte de poids, voyez les liens plus bas.

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