La plupart des spécialistes abordent aujourd'hui la douleur chronique en s'appuyant sur le « modèle biopsychosocial », explique Howard B. Pikoff, chercheur en psychologie à l'Université de l'État de New York à Buffalo, dans un chapitre du livre Handbook of Psychosocial Interventions for Chronic Pain (2019) intitulé Psychological Mislabeling and the Emergence of the Biopsychosocial Model.

« Ce modèle, bien que n'étant pas exempt de critiques, fournit un cadre utile pour comprendre les multiples déterminants de la maladie », rapporte-t-il. « On ne peut pas en dire autant de son prédécesseur, le “modèle psychogénique” » dont persistent quelques vestiges.

Le modèle psychogénique

Fondé sur la psychanalyse du 19e siècle (années 1800), le modèle psychogénique considère les maux de tête, la fibromyalgie et de nombreux autres troubles douloureux comme étant des « problèmes psychologiques déguisés ». (Douleur chronique psychogène : définition)

« Ce n'est que depuis quelques décennies que ce modèle a commencé à relâcher son emprise sur la médecine », rapporte-t-il.

Le concept de « psychogénèse » a véritablement commencé avec Freud et s'est imposé jusque dans les années 1950, retrace-t-il. Son livre Études sur l'hystérie (1895) est devenu l'une des références pour le domaine alors émergent de la médecine psychosomatique. Dans cinq rapports de cas, dont l'étude bien connue de Breuer sur Anna O., Freud y étoffe ses idées sur la notion de conversion, « un pivot de la théorie psychosomatique ».

L'influence de la psychanalyse dans la médecine américaine a atteint son apogée dans les années 1950 avec la publication du texte de Franz Alexander, Psychosomatic Medicine (1950). Alexander était l'un des dirigeants du Chicago Psychoanalytic Institute et le fondateur, en 1939, de la revue Psychosomatic Medicine. Avec ces publications, Alexander a étendu le champ de la psychanalyse à une série de troubles divers, dont le rhume des foins, l'arthrite et la tuberculose.

Au milieu des années 1900, plus de deux douzaines d'affections étaient entièrement ou largement considérées comme étant « psychogènes », dont la migraine, l'asthme, l'ulcère gastro-duodénal, l'arthrite, l'hypertension, la colite, les troubles thyroïdiens, le diabète et la tuberculose.

« À son zénith, cependant, dans l'œuvre d'Alexandre et de ses prédécesseurs, le modèle psychanalytique de la douleur chronique contenait une grave faiblesse. Il était basé sur des anecdotes et des rapports de cas », souligne Pikoff. Parmi les centaines d'études citées dans les bibliographies psychosomatiques des années 1940, il n'a « pu trouver aucun essai contrôlé de la psychanalyse proprement dite ou d'une thérapie psychodynamique de la douleur chronique ».

Le déclin du modèle psychogénique

À mesure que les mécanismes biologiques de maladies étaient découverts dans la deuxième moitié du 20e siècle, le modèle psychogénique est tombé en désuétude.

Par exemple, l'asthme était considéré comme étant causé par une peur de l'abandon. Avec les progrès de la recherche, il est devenu un trouble inflammatoire chronique lié à une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux.

Autre exemple, le modèle de l'ulcère gastro-duodénal voulant qu'il soit causé par des besoins de dépendance inconscients s'est rapidement effondré avec la découverte, dans les années 1980, de l'implication de la bactérie H. pylori.

Dans des articles précédents, Pikoff a notamment décrit la montée et l'invalidation des modèles psychogéniques de la fibromyalgie et de la migraine.

Le déclin du modèle psychogénique a aussi été accéléré par l'apparition du modèle psychosocial et de la thérapie cognitivo-comportementale pour la gestion de la douleur.

Le modèle biopsychosocial

Le modèle biopsychosocial a été introduit par le psychiatre Georges Engel en 1977. « Au lieu d'un modèle biomédical qui supposait que toutes les maladies pouvaient être entièrement prises en compte en termes biologiques, Engel a conçu un modèle qui était sensible aux dimensions psychologiques et sociales de la maladie. »

« Les buts d'Engel étaient louables, mais ils étaient accompagnés d'un revers : un modèle comportant une composante psychologique pouvait rouvrir la porte à l'étiquetage psychologique erroné. Plusieurs auteurs ont suggéré que cela a effectivement été le cas », rapporte Pikoff.

« Certains ont attiré l'attention sur un problème plus subtil lié au modèle biopsychosocial. Ces critiques ont soulevé la possibilité que les cliniciens n'invoquent le modèle (ou, plus précisément, la composante psychologique) que lorsqu'ils rencontrent des patients difficiles ou des troubles inexpliqués. Cette tendance à s'appuyer sur le modèle biopsychosocial de manière sélective, à ne penser biopsychosocialement que dans les cas les plus difficiles, est un incubateur d'erreurs d'étiquetage psychologique. » (Maladie de Lyme chronique : dans la tête, vraiment ? Des chercheurs dénoncent l'étude endossée par Santé publique France)

Des auteurs se sont par exemple demandé « Qu'est-il arrivé au “bio” dans le modèle biopsychosocial de la lombalgie ?  »

La psychothérapie cognitivo-comportementale

La thérapie cognitivo-comportementale pour le traitement de la douleur consiste en une formation à la gestion de celle-ci, précise Pikoff. Le but premier du traitement est d'améliorer le fonctionnement.

Les procédures se concentrent principalement sur la gestion de la douleur, par exemple l'évitement des déclencheurs et des poussées, plutôt que sur la régulation émotionnelle ou le développement d'un « insight ». Le psychologue peut toutefois recommander un traitement des symptômes de santé mentale qui peuvent s'intensifier ou émerger de l'expérience de la douleur.

Les cliniciens peuvent réduire le risque que la douleur soit attribuée ou perçue comme étant attribuée à une cause psychologique en rendant explicite qu'une référence pour une thérapie cognitivo-comportementale a pour objectif la gestion de la douleur.

Il est utile de préciser aux patients que cette approche considère la douleur chronique comme étant un trouble d'origine biologique. Elle n'est pas considérée comme étant causée par la dépression, l'anxiété, un traumatisme émotionnel ou le stress, bien que ces facteurs puissent l'influencer comme pour tout autre trouble médical.

Autre précision : la non-réponse aux médicaments, à la thérapie physique ou à la chirurgie n'est pas considérée comme un indicateur d'une implication psychologique. La non-réponse est plus probablement liée à la compréhension limitée de la physiopathologie de la douleur qu'à la psychopathologie.

« Ces réassurances peuvent être thérapeutiques pour les patients qui ont été démoralisés par la suggestion, explicite ou implicite, d'un problème psychologique sous-jacent de la part d'amis, de la famille ou d'anciens prestataires de soins. »

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Psychomédia avec source : Routledge Handbooks Online.
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